Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettre a éteint les espérances que j’avais osé concevoir, comme l’eau éteint le feu. Pourquoi m’exposerais-je à voir se rallumer une flamme qui me consumerait en vain ? Mais mon frère ne veut-il pas passer sous la tente que son serviteur lui a fait préparer ? Mon premier esclave noir a reçu des ordres pour la réception des princesses. Les officiers de ma maison s’occuperont de votre suite, et nous-même voulons être le chambellan du roi Richard. »

Il le conduisit effectivement sous un superbe pavillon où se trouvait réuni tout le luxe que la magnificence asiatique avait pu inventer. De Vaux, qui suivait le roi, débarrassa alors Richard de la cape ou long manteau de cheval qu’il portait, et le roi d’Angleterre parut devant Saladin sous un vêtement étroit propre à faire ressortir la force et la symétrie de sa personne, et qui formait le contraste le plus remarquable avec les vêtements larges et flottants qui dissimulaient les membres grêles du monarque d’Orient. Mais ce qui attira surtout l’attention du Sarrasin fut l’épée à double poignée dont la lame large et droite, d’une longueur qui semblait la rendre impossible à manier, s’étendait depuis l’épaule jusqu’au talon de Richard.

— Si je n’avais pas vu ce fer, dit le soudan, flamboyer dans le combat comme l’épée de l’ange Azraël, j’aurais eu de la peine à croire que le bras d’un homme pût le porter. Oserai-je demander au noble Melec-Ric d’en frapper un coup en toute amitié, et pour me donner un échantillon de sa force ?

— Volontiers, noble Saladin, » répondit le roi, et cherchant autour de lui quelque chose sur quoi il pût exercer sa force, il vit une hache d’acier que portait un des spectateurs, et dont le manche, de même métal, avait à peu près un pouce et demi de diamètre.

Le soin jaloux que prenait de Vaux de l’honneur de son maître l’excita à lui dire tout bas : « Pour l’amour de la bienheureuse Vierge, prenez garde à ce que vous allez entreprendre, monseigneur ! Vos forces ne sont pas encore entièrement revenues, ne fournissez pas un triomphe à l’infidèle.

— Paix, fou ! » dit Richard en jetant un regard fier autour de lui… « Crois-tu que je puisse échouer en sa présence ? »

Le roi, prenant à deux mains sa lourde épée, l’éleva au dessus de son épaule gauche, et lui faisant faire le moulinet au dessus de sa tête, il la fit retomber avec la force de quelque machine redoutable : la barre d’acier roula sur le plancher, séparée en deux comme un jeune arbre fendu par la hache du bûcheron.