Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/299

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son tour une chanson à boire tirée du persan, et avala sans se faire prier un bon verre de vin de Chypre pour prouver que sa pratique ne démentait pas sa théorie. Le lendemain, aussi grave et aussi austère que le buveur d’eau Mirglip, il inclina son front jusqu’à terre devant le marchepied de Saladin, et rendit compte au soudan de son ambassade.

La veille du jour marqué pour le combat, Conrad et ses amis partirent au point du jour pour le lieu indiqué, et Richard quitta le camp à la même heure et dans le même but ; mais, comme il avait été convenu, il voyagea par une route différente, précaution qui avait été jugée nécessaire pour éviter toute possibilité d’une collision entre leurs hommes d’armes.

Quant au bon roi lui-même, il n’était pas d’humeur à se quereller avec personne. Rien n’aurait pu ajouter au plaisir qu’il se promettait d’un combat à outrance en champ clos, si ce n’est d’être lui-même un des combattants, et il se sentait réconcilié avec tout le monde, voire même avec Conrad de Montferrat ! Armé à la légère, richement vêtu, et aussi rayonnant qu’un jeune époux le jour de ses noces, Richard caracolait à côté de la litière de la reine Bérengère, lui faisant remarquer les différents lieux qu’ils traversaient, et égayant, par des récits et des chants, la route monotone du désert inhospitalier.

Lorsque la reine avait accompli son pèlerinage à Engaddi, elle avait pris le chemin qui était de l’autre côté de la chaîne de montagnes, de sorte que le spectacle du désert était nouveau pour elle et pour ses dames. Quoique Bérengère connût trop bien le caractère de Richard pour ne pas témoigner un grand intérêt pour ce qu’il lui plaisait de dire ou de chanter, elle ne put s’empêcher de se livrer à quelques craintes féminines quand elle se vit dans l’effrayant désert avec une si petite escorte, qui semblait n’être qu’un point mouvant sur la surface de la plaine immense : elle savait aussi qu’ils n’étaient pas éloignés du camp de Saladin, et qu’ils pouvaient être surpris et exterminés d’un moment à l’autre par un détachement nombreux de sa redoutable cavalerie, si le païen était assez déloyal pour profiter d’une si favorable occasion. Mais quand elle communiqua ces soupçons à Richard, il les repoussa avec mécontentement et dédain. « Ce serait plus que de l’ingratitude, dit-il, que de douter de la bonne foi du généreux soudan. »

Cependant les mêmes doutes et les mêmes craintes se représentèrent souvent, non seulement à l’esprit timide de la reine, mais à