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ner chez elle… Richard, comme il l’avait annoncé, marcha près de sa cousine, et la força de s’appuyer sur son bras, de sorte qu’ils purent se parler sans être entendus.

« Quelle réponse dois-je donc rendre au brave soudan ? demanda Richard. Les rois et les princes se détachent de moi, Édith ; cette nouvelle querelle me les aliène de nouveau. Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour le Saint-Sépulcre, par accommodement, sinon par la victoire, et la seule chance que j’aie d’y réussir, dépend, hélas ! des caprices d’une femme… J’aimerais mieux porter ma lance en arrêt devant dix des meilleures lances de la chrétienté que d’avoir à raisonner avec une jeune fille obstinée qui ne sait pas ce qui est pour son bien. Quelle réponse, cousine, ferai-je donc à Saladin ? Il faut prendre un parti décisif.

— Dites-lui, répliqua Édith, que la plus pauvre des Plantagenet aimerait mieux s’allier à la misère qu’à l’infidélité.

— Dirai-je à l’esclavage, Édith ? Il me semble que c’est plutôt là votre pensée.

— Il n’y a pas lieu au soupçon que vous osez m’insinuer… L’esclavage du corps aurait pu inspirer la compassion… Celui de l’âme ne peut exciter que le mépris. Honte à toi, roi Richard d’Angleterre ! tu as réduit à l’asservissement et à la dégradation les membres et l’esprit d’un chevalier dont la gloire était jadis presque égale à la tienne.

— Ne devais-je pas empêcher ma parente de boire du poison, en souillant le vase qui le contenait, si je ne voyais aucun autre moyen de la dégoûter de cette fatale liqueur ?

— C’est toi-même qui veux me forcer à boire du poison, parce qu’il est contenu dans un vase d’or.

— Édith… Je ne puis pas forcer ta résolution ; mais prends garde de fermer la porte que le ciel daigne encore nous ouvrir. L’ermite d’Engaddi, que les papes et les conciles ont regardé comme un prophète, a lu dans les astres que ton mariage doit me réconcilier avec un ennemi puissant, et que ton époux sera chrétien ; ainsi nous avons lieu d’espérer que la conversion du soudan et l’entrée des fils d’Ismaël dans le sein de l’Église seront les fruits de ton union avec Saladin. Allons, il faut faire quelque sacrifice plutôt que de détruire une si belle perspective.

— Des hommes peuvent sacrifier des béliers et des chèvres, mais non l’honneur et la conscience… J’ai entendu dire que c’était la honte d’une fille chrétienne qui avait amené les Sarrasins en Espa-