Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/293

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Maint y perdit son cheval ou sa lance,
Maint y trouva la gloire ou le trépas.
Mais un d’entre eux les surpasse en audace,
À tous les coups il exposé son sein :
C’était celui qui n’avait pour cuirasse
Et pour écu qu’un blanc tissu de lin.

Son sang coulait au plus fort du carnage,
Et mainte fois, craignant de le férir,
Plus d’un guerrier, qu’étonnait son courage,
Crut que d’un vœu ce preux était martyr.
Le prince aussi dont il a touché l’âme
Clôt le tournoi par un signal soudain,
Et pour vainqueur de la lice il proclame
Le chevalier au vêtement de lin.

On s’apprêtait à célébrer la messe
Que devait suivre un banquet somptueux,
Quand tout-à-coup, saluant la princesse,
Un écuyer vient offrir à ses yeux
Ce lin fatal, percé de coups de lance.
Contre le fer bouclier impuissant,
Dont la blancheur, emblème d’innocence,
A disparu sous la fange et le sang.

Or, l’écuyer lui parla ce langage :
« Je viens au nom du preux Thomas de Kent,
Chargé par lui de remettre ce gage
Entre vos mains, dame de Bénevent.
Mon maître a dit : Au péril de ma vie,
J’ai de ma dame osé remplir la loi,
J’obtiens le prix de la chevalerie ;
Mais j’en attends un autre de sa foi.

« Point ne craignis, a dit encor mon maître.
De m’exposer sans défense aux combats ;
Or maintenant peut-elle méconnaître
Le chevalier qui lui voua son bras ?
En lui rendant la tunique trop chère,
Qui, de mon sang, a gardé la couleur,
Veux qu’à son tour, s’en parant pour me plaire,
Ma dame aussi la porte sur son cœur. »

L’écuyer dit ; la princesse tremblante,
En rougissant étend vers lui la main,
Et recevant la tunique sanglante.
Avec ardeur la presse sur son sein.
« Brave écuyer, dit-elle, veux apprendre
Aujourd’hui même à mon preux chevalier
Que de ce sang que je lui fis répandre,
Connais le prix et saurai le payer. »