Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/289

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tinction ; et Richard, voyant que la reine paraissait un peu piquée de la préférence donnée à sa cousine, préférence dont il n’était pas fort satisfait lui-même, dit de manière à être entendu de toutes deux : « Nous autres ménestrels, Bérengère, comme tu peux le voir par Blondel, nous respectons plutôt un juge sévère comme notre parente, qu’une amie indulgente et impartiale comme toi, qui veux bien nous en croire sur parole.

Édith fut blessée de ce sarcasme de son royal parent, et elle répondit sans hésiter : « Que d’être un juge dur et sévère n’était pas un attribut réservé à elle seule parmi les Plantagenet. »

Elle en aurait peut-être dit davantage, ayant une forte dose du caractère de cette maison qui, tout en prenant son nom et sa devise d’une humble plante (planta genista), fut peut-être une des familles les plus orgueilleuses qui aient jamais gouverné l’Angleterre. Mais son œil, animé par la vivacité de sa réponse, rencontra tout-à-coup celui du Nubien, quoiqu’il eût essayé de se cacher derrière les nobles qui étaient présents, et elle retomba sur son siège, en devenant fort pâle. Aussi la reine Bérengère se crut obligée de demander de l’eau et des essences, et d’avoir recours à toutes les cérémonies d’usage en semblable occurrence. Richard, qui appréciait mieux la force d’esprit d’Édith, pria Blondel de prendre sa harpe et de commencer ses chants, assurant que la musique était la meilleure de toutes les recettes pour faire revenir un Plantagenet. « Chante-nous, dit-il, la romance du Vêtement sanglant dont tu me communiquas le sujet avant mon départ de Chypre. Tu dois l’avoir achevée maintenant, ou, comme le disent nos archers, ta lyre est brisée… »

Le regard inquiet du ménestrel, cependant, s’était arrêté sur Édith, et ce ne fut qu’après avoir vu ses joues reprendre leur couleur qu’il obéit aux invitations réitérées du roi. Alors, accompagnant sa voix de la harpe, de manière à prêter plus de charme à son chant, sans le couvrir, il chanta sur un air qui n’était qu’une espèce de récitatif, une de ces anciennes aventures d’amour et de chevalerie qui ne manquaient jamais de captiver l’attention des auditeurs. Dès qu’il commença à préluder, l’insignifiance de sa personne, et son extérieur peu remarquable se transformèrent subitement. Sa figure devint rayonnante d’inspiration et de génie… sa voix mâle, sonore et suave, guidée par le goût le plus pur, pénétrait jusqu’au cœur. Richard, aussi joyeux qu’un jour de victoire, donna le signal du silence :