Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/286

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ne pourrais rester oisif quand même tu le voudrais. Tes nobles facultés sont pareilles à une flamme qui se consume intérieurement, et qui a besoin de se répandre au dehors dans les vers et les chants qu’elle t’inspire.

— J’ai appris quelque chose, et quelque chose aussi j’ai fait, noble roi, » répondit le célèbre Blondel avec cette modeste réserve que toute l’admiration enthousiaste de Richard n’avait encore pu bannir.

« Nous t’entendrons, ami, nous t’entendrons à l’instant, » reprit le roi… Puis, frappant amicalement Blondel sur l’épaule, il ajouta : « Si pourtant tu n’es pas fatigué de ton voyage, car j’aimerais mieux crever mon plus beau cheval que de fatiguer une seule note de ta voix.

— Ma voix est toujours au service de mon royal patron, répliqua Blondel ; mais Votre Majesté, » continua-t-il en regardant des papiers posés sur une table, « paraît occupée d’une manière plus sérieuse, et il se fait tard.

— Pas du tout, pas du tout, mon cher Blondel… je ne faisais qu’ébaucher un plan de bataille contre les Sarrasins ; c’est une chose qui ne demande qu’un moment ; cela est presque aussitôt fait que de les mettre en déroute…

— Il me semble cependant, dit alors Thomas de Vaux, qu’il ne serait pas mal à propos de savoir de quelles troupes Votre Grâce peut disposer. J’apporte à ce sujet des nouvelles d’Ascalon.

— Tu es un mulet, Thomas, répondit le roi ; un vrai mulet pour la stupidité et l’obstination… Allons ; gentilshommes, formons le cercle, rangez-vous autour de lui. Donnez à Blondel le tabouret… où est le porteur de harpe… ou bien, attendez, donnez-lui la mienne ; la sienne a peut-être été endommagée par le voyage.

— Je voudrais qu’il plût à Votre Grâce d’examiner mon rapport, reprit Thomas… j’ai fait une longue route, et j’ai plus besoin de mon lit que de me faire chatouiller les oreilles.

— Te chatouiller les oreilles ! répéta le roi, il faudrait pour cela avoir recours à une plume d’oiseau plutôt qu’à des sons mélodieux… Dis-moi, Thomas, distingues-tu la voix de Blondel de celle d’un âne qui brait ?

— Ma foi, mon roi, je ne puis trop vous dire ! mais en mettant de côté Blondel qui est né gentilhomme, et qui a sans doute de grands talents, maintenant je ne pourrai jamais voir de ménestrel sans me rappeler la question de Votre Grâce et songer à un âne.