Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/283

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Il pressa son front sur ses deux mains comme pour exprimer la peine qu’il éprouvait de ne pouvoir lui obéir ; mais elle se détourna de lui avec colère.

« Il suffit, dit-elle ; j’ai assez parlé, trop peut-être, à quelqu’un qui ne daigne pas me répondre un seul mot. Sors, et dis que, si je t’ai fait du mal, je l’ai bien expié ; car si j’ai malheureusement été cause que tu sois dégradé d’un rang honorable, j’ai dans cette entrevue oublié ce que je me devais à moi-même en m’abaissant ainsi à tes yeux et aux miens. »

Elle se couvrit les yeux de sa main, et parut vivement agitée. Sir Kenneth voulut s’approcher, mais elle lui fit signe de s’éloigner.

« Loin d’ici, reprit-elle, toi dont l’âme est devenue aussi basse que son nouvel état. Tout autre moins craintif et moins lâche qu’un esclave muet eût dit un mot de reconnaissance, ne fût-ce que pour me réconcilier avec ma propre dégradation. Pourquoi t’arrêtes-tu ? sors d’ici ! »

Le malheureux Écossais regarda machinalement la lettre comme pour s’excuser de différer son départ. Édith la saisit en disant d’un ton d’ironie et de mépris : « Ah ! je l’avais oubliée. L’esclave soumis attend la réponse à son message. Que veut dire cela de la part du Soudan ? »

Elle en parcourut rapidement le contenu qui était écrit en arabe et en français ; et, lorsqu’elle eut fini, elle rit avec amertume et colère.

« Voilà qui passe l’imagination ! dit-elle ; aucun jongleur ne saurait accomplir une pareille transmutation. Il peut convertir les sequins et les besants en doits et en maravédis[1], mais qui l’a jamais vu métamorphoser un chevalier chrétien qui fut toujours estimé parmi les plus braves de la croisade en un esclave rampant d’un sultan païen, messager de ses insolentes propositions à une fille chrétienne ; en un être avili qui oublie les lois de l’honneur et de la chevalerie comme celles de la religion. Mais à quoi bon parler au vil esclave d’un chien d’infidèle ? Dis à ton maître, lorsque son fouet t’aura fait retrouver ta langue, ce que tu m’as vu faire. » En parlant ainsi, elle jeta à terre la lettre du soudan et la foula aux pieds. « Ajoute qu’Édith Plantagenet méprise l’hommage d’un impie. »

  1. Le sequin d’Italie vaut dix francs ; le besant est une ancienne monnaie turque en or, d’une valeur d’environ six francs ; le doit était une petite pièce d’argent d’environ vingt-cinq centimes ; et le maravédis est une monnaie espagnole en cuivre, d’une valeur même au-dessous d’un centime, c’est une des plus petites monnaies d’Europe. a. m.