Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/277

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fixés sur la terre, car il aurait eu probablement de la peine à supporter les regards perçants que lui lançait de temps à autre Richard.

« Tu t’entends à la chasse, » dit le roi après un moment de pause, « et tu as levé le gibier et l’as mis aux abois aussi habilement que si Tristan lui-même eût été ton maître. Mais ce n’est pas tout : il faut le forcer aussi. Moi-même j’aurais aimé à diriger mon épieu. Mais il y a des considérations qui m’en empêchent. Tu vas retourner dans le camp de Saladin avec une lettre, sollicitant de sa courtoisie qu’il désigne un terrain neutre pour ce fait de chevalerie, et demandant s’il lui est agréable de se joindre à nous pour y assister. Or, parlant par conjecture, nous supposons que tu pourras bien trouver dans le camp quelque cavalier qui, pour l’amour de la vérité et l’accroissement de son honneur, consent à combattre ce traître Montferrat ? »

Le Nubien leva les yeux, et les fixa sur le roi avec une expression de zèle et d’ardeur, puis il les porta vers le ciel avec un sentiment si profond de reconnaissance, qu’on y vit briller des larmes. Il inclina ensuite la tête en signe affirmatif, et reprit de nouveau sa posture soumise et attentive.

« C’est bien, dit le roi, et je vois que ton désir est de m’obliger dans cette affaire. Et c’est en cela, je dois le dire, que gît l’excellence d’un serviteur tel que toi, qui n’as pas la faculté de la parole pour discuter nos projets, ou pour demander l’explication de ce que nous avons résolu. Un de mes seigneurs anglais, à ta place, m’eût brutalement conseillé de confier ce combat à quelque bonne lame choisie parmi les gens de ma maison, qui, à commencer par mon frère, brûlent tous de se battre pour ma cause ; un Français babillard eût fait mille efforts pour découvrir pourquoi je choisissais un champion dans le camp des infidèles : mais toi, mon silencieux agent, tu remplis mon message sans me questionner et sans avoir besoin de me comprendre. Pour toi, entendre c’est obéir[1]. »

Une inclinaison du corps et une génuflexion furent la réponse que l’Éthiopien crut convenable de faire à ces observations.

« Et maintenant passons à un autre point, » dit le roi en parlant brusquement et rapidement : « avez-vous déjà vu Édith Plantagenet ? »

Le muet leva les yeux comme s’il allait parler ; ses lèvres mêmes avaient commencé à proférer un nom assez distinct ; mais cet effort avorté se perdit dans des murmures imparfaits.

  1. Formule employée par les esclaves d’Orient. a. m.