Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plier ; et dans ce cas les griffes de ce lévrier auront mieux réussi à dissoudre cette ligue de princes que tous les complots et le poignard même du Charégite. Ne vois-tu pas que, sous un front qu’il s’efforce de rendre chagrin, Philippe ne peut cacher la satisfaction qu’il éprouve à la perspective d’être dégagé d’une alliance qui lui pèse tant ? Regarde comme Henri de Champagne sourit, tandis que son regard pétille de même que la liqueur mousseuse de son pays ; et remarque la joie de l’épais Autrichien, qui pense qu’il va se voir vengé sans qu’il lui en coûte ni soin, ni risques. Chut ! il s’approche. C’est une cruelle chose, prince royal d’Autriche, que toutes ces brèches pratiquées dans les murs de notre Sion !

— Si tu veux parler de la croisade, répondit le duc, je voudrais qu’elle fût dissoute en pièces, et que chacun fût tranquille chez soi. Je te dis cela en confidence.

— Mais, répliqua le marquis de Montferrat, il est dur de penser que cette désunion doive être occasionée par le roi Richard, pour le bon plaisir duquel nous en avons déjà tant supporté et auquel nous nous sommes soumis comme des esclaves envers un maître, dans l’espoir qu’il déploierait sa valeur contre l’ennemi au lieu de la tourner contre ses amis.

— Je ne vois pas qu’il soit beaucoup plus valeureux que d’autres, dit l’archiduc. Je crois que si le marquis l’avait rencontré en champ clos, Richard aurait eu le dessous ; car, quoique ces insulaires portent des coups pesants avec la hache, ils ne sont pas très adroits à la lance. Je n’aurais pas craint de le combattre moi-même lors de notre vieille querelle, si l’intérêt du christianisme eût permis à deux princes souverains de se mesurer en lice. Et si tu le désires, noble marquis, je te servirai moi-même de parrain dans le combat.

— Et moi aussi, dit le grand-maître.

— Venez donc prendre votre repas de midi avec moi, nobles sires, dit le duc, et nous parlerons de cette affaire en buvant du véritable nierenstein. »

Ils entrèrent ensemble en conséquence chez le prince.

« Que disait notre patron à ces grands seigneurs ? » demanda Jonas Schwanker à son compagnon le spruch sprecher, qui avait pris la liberté de s’approcher de son maître lorsque le conseil eut été dissous, tandis que le bouffon attendait à une distance respectueuse.

« Esclave de la folie, répondit le spruch sprecher, modère ta curiosité. Il n’est pas convenable que je te communique les desseins de notre maître.