Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/267

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profitant de son double caractère, donna sa bénédiction à Richard, comme prêtre, au lieu de le saluer comme chef guerrier.

« Cet être orgueilleux et amphibie veut jouer le moine avec moi, dit Richard au comte de Salisbury ; mais laissons-le passer, William… La chrétienté ne doit pas, pour une semblable vétille, perdre l’avantage de ces lances expérimentées que leurs victoires ont remplies de présomption… Mais regarde, voici notre vaillant adversaire, le duc d’Autriche…. Remarque bien ses manières et son maintien, Longue-Épée ; et toi, Nubien, aie soin que ton lévrier le voie bien en face… Par le ciel ! il amène avec lui ses bouffons. »

En effet, par habitude, ou, ce qui est plus probable, pour indiquer le mépris de la cérémonie à laquelle il se soumettait, Léopold était accompagné de son spruch sprecher et de son hoff-narr, et lorsqu’il avança vers Richard, il se mit à siffler comme pour se donner un air d’indifférence, quoique ses traits épais exprimassent la mauvaise humeur, et un peu de cette crainte qu’éprouve un écolier en faute quand il paraît devant son maître. Lorsque le noble duc d’un air sombre et troublé fit le salut exigé, le spruch sprecher agita sa baguette et proclama à haute voix, comme un héraut, que dans ce qu’il faisait alors l’archiduc d’Autriche ne devait pas être considéré comme dérogeant en rien au rang et aux privilèges d’un prince souverain. À quoi le bouffon répondit par un amen sonore, qui excita de grands éclats de rire parmi les spectateurs.

Le roi Richard regarda plus d’une fois le Nubien et son chien ; mais le premier ne fit pas un mouvement, et le second ne tira pas seulement la laisse, ce qui fit que Richard dit à l’esclave avec un peu de mépris : « Ton succès dans cette entreprise, mon noir ami, quoique tu aies eu recours à la sagacité de ton chien pour seconder la tienne, ne te donnera pas, à ce que je crains, une place fort distinguée parmi les sorciers, et n’augmentera pas beaucoup ton mérite à nos propres yeux. »

Le Nubien ne répondit, comme à l’ordinaire, qu’en s’inclinant profondément.

C’était aux troupes du marquis de Montferrat à défiler devant le roi d’Angleterre. Ce prince puissant et artificieux, pour faire un plus grand étalage de ses forces, les avait divisées en deux corps. À la tête du premier, composé de ses vassaux et de ses partisans, et levé sur ses états de Syrie, était son frère Enguerrand ; et Conrad lui-même suivait avec une troupe brillante de douze cents Stradiotes, espèce de cavalerie légère levée par les Vénitiens dans leurs