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Melec-Ric… Soulève le voile qui couvre tes pensées, ou, si tu le préfères, ne le soulève pas, mais sache que mes yeux t’ont pénétré.

— Je l’ai aimée, » répondit sir Kenneth après un moment de silence, « mais comme un homme aime la grâce du ciel ; et j’ai sollicité ses regards comme on sollicite le pardon du ciel.

— Et tu ne l’aimes plus ?

— Hélas ! je ne suis plus digne de l’aimer… Changeons de conversation, je te prie ; chacune de tes paroles est pour moi un coup de poignard.

— Permets encore une seule question, continua Ilderim : lorsque, soldat pauvre et obscur, tu fixas tes affections d’une manière si présomptueuse et si élevée, avais-tu quelque espoir ?

— L’amour n’existe pas sans espérance : mais mon amour ressemblait au désespoir ; c’était le sentiment qu’éprouve un matelot livré à la merci des ondes, et qui, nageant de vague en vague, aperçoit par intervalle la lueur d’un phare. Il attache opiniâtrement son regard sur cette étoile de salut, quoique l’épuisement de ses forces lui fasse sentir qu’il ne l’atteindra jamais.

— Et maintenant cette étoile de salut s’est voilée pour jamais ?

— Pour jamais ! » répéta sir Kenneth comme l’écho qui sortirait du fond d’un sépulcre ruiné.

« Il me semble, reprit encore le Sarrasin, que si tu n’as besoin pour être heureux que des faibles lueurs d’un phare éloigné, le phare peut reparaître, ton espoir se remettre à flot ; et à cette heure, bon chevalier, rien ne doit t’empêcher de reprendre l’occupation agréable d’alimenter ta passion idéale avec la substance idéale d’un clair de lune : car si demain tu étais aussi pur de réputation que tu le fus jamais, celle que tu aimes n’en serait pas moins la fille des princes et la fiancée de Saladin.

— Je voudrais qu’il en fût ainsi, dit l’Écossais, et je… »

Il s’arrêta comme un homme qui craint de se vanter dans des circonstances qui ne permettent pas qu’il soit mis à l’épreuve. Le Sarrasin sourit en achevant la phrase : « Tu défierais le soudan au combat singulier.

— Et quand cela serait, » reprit sir Kenneth avec fierté, « ce n’est ni le premier, ni le plus brave musulman contre lequel j’aurais mis ma lance en arrêt.

— Cela se peut, mais il me semble qu’il pourrait regarder la chance comme trop inégale pour risquer ainsi l’espoir d’une fiancée royale, et peut-être l’issue d’une grande guerre.