Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/259

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m’a frappé dans la tente du roi Richard a échappé à ton attention, je l’estime aussi mal affilée que le sabre de bois d’un bouffon ! Il est vrai que tu étais sous sentence de mort dans ce moment : mais, quand ma tête eût été séparée du tronc, le dernier regard de mes yeux mourants se serait tourné avec délices vers cette charmante vision, et ma tête aurait roulé d’elle-même aux pieds de ces houris incomparables, pour toucher de ses lèvres tremblantes le bord de leurs vêtements… Cette reine d’Angleterre qui, pour son adorable beauté, mérite d’être la souveraine de l’univers ! quelle tendresse dans son œil d’azur ! quel éclat que celui de ses tresses dorées ! Par la tombe du Prophète ! j’ai peine à concevoir que la houri qui me présentera la coupe de diamant de l’immortalité puisse mériter d’aussi ardentes caresses !

— Sarrasin, » dit sévèrement sir Kenneth, « tu parles de l’épouse de Richard d’Angleterre : aucun homme ne doit s’occuper d’elle comme d’une femme qui puisse être enviée, mais comme d’une reine faite pour inspirer la vénération.

— Je vous demande merci, reprit le Sarrasin, j’avais oublié votre superstitieuse idolâtrie pour un sexe que vous considérez comme un objet d’admiration et d’adoration, et non d’amour et de jouissance. Et puisque tu exiges un si profond respect à l’égard de cet être charmant et fragile, dans lequel on reconnaît à chaque mouvement, à chaque pas, à chaque regard, une véritable femme selon toi, je le gage, on ne peut donner moins qu’un culte absolu à la belle aux cheveux bruns, au regard expressif et imposant. J’avoue que son noble maintien et son air majestueux indiquent à la fois le courage et la pureté. Et cependant je t’assure que, vaincue par l’occasion, elle-même remercierait au fond du cœur l’amant entreprenant qui la traiterait en mortelle plutôt qu’en déesse.

— Respecte la parente de Cœur-de-Lion ! » dit Kenneth avec une colère qu’il ne cherchait pas à réprimer.

— La respecter ! » reprit l’émir avec mépris. « Par la Caaba ! si je la respecte, ce sera plutôt comme épouse de Saladin.

— L’infidèle soudan est indigne de baiser la trace des pieds d’Édith Plantagenet, » s’écria le chrétien en s’élançant de sa couche.

« Ah, ah ! qu’a dit le giaour ? » repartit l’émir en portant la main sur son poignard, tandis que son front devenait semblable au cuivre étincelant et que les contractions de sa bouche et de ses joues faisaient dresser chaque poil de sa barbe comme s’il eût frémi d’une rage instinctive.