Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/257

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sieurs reprises ; tant qu’ils étaient fermés, l’image du Hakim, avec sa longue robe flottante, d’une couleur sombre, son haut bonnet tatare, et ses gestes pleins de gravité, venait se présenter à son imagination ; mais aussitôt qu’il les ouvrait, le riche et gracieux turban éclatant de pierreries, le léger haubert de mailles d’acier et d’argent, qui lançait des reflets brillants en obéissant à chaque impulsion du corps, enfin des traits dépouillés de leur rigide gravité, un teint moins basané, une physionomie dégagée de cette énorme barbe (réduite maintenant aux proportions ordinaires et arrangée avec beaucoup de soin), tout enfin lui rappelait le guerrier, et non le sage.

« Ta surprise ne commence-t-elle pas à s’affaiblir ? demanda l’émir, et as-tu parcouru le monde avec un esprit assez peu observateur pour t’étonner que les hommes ne soient pas toujours ce qu’ils paraissent être… Es-tu toi-même l’homme pour lequel tu passes ?

— Non, de par saint André, s’écria le chevalier, car je passe dans tout le camp chrétien pour un traître, et j’ai la conscience d’être loyal, quoique j’aie failli.

— C’est ainsi que je te jugeai, et comme nous avions mangé le sel ensemble, je me regardai comme obligé de t’arracher à la mort et à la honte. Mais pourquoi restes-tu sur ta couche quand le soleil est déjà élevé sur l’horizon ? Les vêtements dont mes chameaux étaient chargés sont-ils indignes que tu les portes ?

— Non pas indignes assurément, mais peu convenables à ma situation ; donne-moi l’habit d’un esclave, noble Ilderim, et je le revêtirai avec plaisir ; mais je ne puis supporter l’idée de porter le costume d’un guerrier libre de l’Orient, et le turban du musulman.

— Nazaréen, reprit l’émir, ta nation se livre si facilement au soupçon, qu’elle peut facilement devenir suspecte. Ne t’ai-je pas dit que Saladin ne veut convertir que ceux que le saint prophète dispose à embrasser sa loi ? la violence et la séduction ne lui servirent jamais à propager sa foi. Écoute-moi, mon frère. Quand l’aveugle fut miraculeusement rendu à la lumière, le voile tomba de ses yeux par la volonté divine… Crois-tu qu’aucun médecin terrestre aurait pu l’arracher ? Non… un médecin aurait pu tourmenter le malade par ses instruments, peut-être le soulager par des baumes et des cordiaux, mais l’aveugle serait resté dans les ténèbres ; il en est de même de l’aveuglement de l’esprit. S’il en est parmi les Francs qui, pour l’amour des biens de ce monde,