Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/253

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et le Hakim engagea sir Kenneth à descendre de cheval, et à se reposer dans un lieu de sécurité. Ils débridèrent leurs coursiers, et Adonebec observa qu’il était inutile de s’en occuper davantage, puisque les mieux montés de ses esclaves ne tarderaient pas à les joindre, et en prendraient le soin nécessaire.

« En attendant, » dit-il en plaçant sur l’herbe quelques aliments, « bois et mange, et ne te décourage pas. La fortune peut élever ou abaisser l’homme vulgaire, mais le sage et le soldat doivent avoir une âme capable de braver son pouvoir. »

Le chevalier écossais tâcha de témoigner sa reconnaissance en se montrant docile ; mais, quoiqu’il s’efforçât de manger par complaisance, le contraste violent de sa situation actuelle avec celle où il était lors de son passage dans le même lieu, comme envoyé des princes et vainqueur d’un combat singulier, ce contraste remplissait de nuages son esprit ; d’ailleurs le jeûne, la fatigue et le chagrin triomphaient de ses facultés physiques. El Hakim examina le mouvement pressé de son pouls, ses yeux rouges et enflammés, sa main brûlante, et sa respiration oppressée.

« L’esprit, dit-il, acquiert plus de sagesse par les veilles ; mais le corps, son frère, composé de matériaux plus grossiers, a besoin de repos pour se soutenir. Il faut que tu dormes ; et, afin que ton sommeil soit rafraîchissant, tu prendras un breuvage mêlé de cet élixir. »

Il tira de son sein un petit flacon de cristal revêtu d’un tissu de filigrane d’argent, et versa dans une petite coupe d’or une faible quantité d’un liquide de couleur foncée.

« Voilà, dit-il, une de ces productions qu’Allah a envoyées sur la terre pour notre bien, quoique la faiblesse et la méchanceté de l’homme en aient quelquefois abusé pour se livrer à des œuvres maudites. Elle a autant que le vin des nazaréens la faculté de fermer l’œil fatigué d’insomnie, et de soulager l’estomac épuisé d’un fardeau trop pesant ; mais lorsque l’homme l’emploie pour la satisfaction de ses passions, et qu’il la fait servir à ses débauches, elle agite les nerfs, détruit les forces, affaiblit la raison et mine la vie. Cependant ne crains pas d’avoir recours à sa vertu au moment du besoin ; car le sage se chauffe avec le même tison qui ne servirait au fou qu’à incendier sa tente.

— J’ai trop vu les effets de ton art, sage Hakim, dit Kenneth, pour contester ton avis ; » et, après avoir avalé le narcotique mêlé avec un peu d’eau de la fontaine, l’Écossais s’enveloppa dans le