Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/251

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— En ce cas je te forcerai de me suivre, dit El Hakim.

— Me forcer ! » s’écria Kenneth avec colère ; « si tu n’étais pas mon bienfaiteur, ou du moins si tu ne t’étais montré disposé à l’être, et si je ne devais à ta confiance la liberté de ces mains que tu aurais pu charger de fers, je te montrerais que, tout désarmé que je suis, employer la force avec moi n’est pas chose facile.

— Assez, assez, dit le médecin arabe, nous perdons du temps au moment où il devient précieux. »

À ces mots il éleva son bras en l’air, et poussa un cri fort et aigu qui servit de signal à toute sa suite, qui se dispersa à l’instant sur la surface du désert, de même qu’un chapelet de perles dont le fil est rompu. Sir Kenneth n’eut pas le temps de remarquer ce qui s’ensuivit, car le Hakim saisit les rênes de son cheval ; et excitant l’ardeur du sien propre, il les fit partir tous deux avec la promptitude de l’éclair, et avec une telle rapidité, que le chevalier écossais en perdit presque la faculté de respirer, ce qui le mit dans l’incapacité absolue, lors même qu’il l’eût désiré, d’arrêter la course de son guide. Quelque habileté en équitation qu’eût sir Kenneth dès sa tendre jeunesse, le cheval le plus rapide qu’il eût jamais monté était une tortue en comparaison de ceux de l’Arabe. Les sables s’effaçaient sous leurs pieds ; ils semblaient dévorer le désert devant eux ; les milles disparaissaient avec les minutes, et cependant leur vigueur ne semblait pas décliner, et leur respiration était la même que lorsqu’ils avaient commencé cette course étonnante. Leur mouvement, aussi facile qu’il était rapide, ressemblait plus au vol qui traverse l’air qu’à une course sur terre, et n’était accompagné d’aucune sensation désagréable, excepté l’effroi qu’éprouve naturellement celui qui se sent emporter avec une aussi inconcevable rapidité, et la difficulté de respirer, occasionnée par la vélocité avec laquelle il traversait l’air.

Il y avait plus d’une heure que durait ce mouvement effrayant, et ils avaient laissé toute poursuite humaine bien loin derrière eux, quand le Hakim ralentit sa course, et ayant modéré le pas de ses chevaux qui reprirent le galop, il commença d’une voix aussi calme que s’il venait de marcher d’un pas ordinaire, à vanter à l’Écossais l’excellence de ses coursiers ; celui-ci hors d’haleine, à demi aveuglé, à moitié sourd et tout-à-fait étourdi par la promptitude de cette singulière course, comprenait à peine les paroles que son compagnon prononçait avec tant d’aisance.

« Ces chevaux, disait le médecin, sont de la race que l’on ap-