Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et du mors ; néanmoins l’allure de cet animal, qui était une jument, fut aussi vive et en même temps aussi douce qu’il était possible de le désirer.

« Les qualités de ce cheval, dit le sentencieux médecin, sont comme celles de la fortune ; car c’est au moment où son pas est le plus égal et le plus léger, que le cavalier doit se tenir le plus en garde contre une chute : de même, lorsque nous sommes au plus haut point de prospérité, notre prudence doit être active et vigilante pour prévenir le malheur. »

Un estomac rassasié repousserait un rayon de miel. On ne s’étonnera donc pas que le chevalier, accablé de malheurs et d’humiliations, éprouvât quelque impatience en voyant ses chagrins fournir à chaque instant le texte d’un proverbe ou d’une sentence, quelle que fût d’ailleurs la justesse de l’application.

« Il me semble, » dit-il avec un peu d’humeur, « que je n’avais pas besoin d’un nouvel exemple de l’instabilité de la fortune ; et j’aurais lieu de te remercier, sir Hakim, du choix de ton cheval si l’animal faisait une assez bonne chute pour nous casser le cou à tous deux. — Frère, » répondit le sage Arabe avec une imperturbable gravité, « tu parles comme ceux qui ont perdu la raison… Tu dis dans ton cœur que le sage aurait dû donner à son hôte le plus jeune cheval et le meilleur, et se réserver le plus vieux pour lui. Mais apprends que les défauts du vieux cheval peuvent être compensés par l’énergie du jeune cavalier, tandis que le plus jeune a besoin d’être modéré par la prudence et le sang-froid d’un homme mûr. »

Ainsi parla le sage ; mais sir Kenneth ne répondit rien à cette remarque qui pût prolonger la conversation ; et le médecin, fatigué de prodiguer des avis et des consolations à quelqu’un qui ne voulait pas être consolé, fit signe à l’un des gens de sa suite de s’approcher. « Hassan, dit-il, n’as-tu pas quelque chose à nous dire pour charmer les ennuis de la route ? »

Hassan, narrateur et poète de profession, se voyant ainsi appelé à exercer sa charge, poussa son cheval en avant. « Seigneur du palais de la vie, » dit-il en s’adressant au médecin, « toi devant qui l’ange Azraël déploie ses ailes et prend la fuite ; toi plus sage que Soliman ben Daoud[1] sur le cachet duquel était écrit le véritable nom de celui qui domine les esprits des éléments, fasse le ciel que, poursuivant la route de la bienfaisance, portant la guérison et l’espérance sur ton passage, ton voyage ne soit point

  1. Salomon, fils de David. a. m.