Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/244

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qui, tombé du sommet d’un précipice, et à peine échappé à la mort d’une manière inattendue, n’a que tout juste la force de se traîner hors du lieu fatal, sans avoir la faculté de sentir toute l’étendue du mal qu’il a souffert. Arrivé à la tente, il se jeta sans dire un mot sur une couche couverte d’une peau de buffle que son conducteur lui indiqua, et cachant sa figure dans ses mains il gémit et sanglota comme si son cœur allait se briser. Le médecin l’entendit en donnant l’ordre à ses nombreux domestiques de tout préparer pour partir le lendemain avant le point du jour, et, touché de compassion, il s’interrompit, et vint s’asseoir les jambes croisées auprès de la couche, pour lui offrir des consolations à la manière orientale.

« Mon ami, dit-il, ayez bon courage ; car, comme dit le poète, il vaut mieux pour un homme être le serviteur d’un bon maître que l’esclave de ses passions déréglées. Je le répète, ayez bon courage, et songez que si Ysouf ben Yagoub[1] a été vendu par ses frères à Pharaon, roi d’Égypte, votre roi vous a donné à un homme qui sera pour vous un frère. »

Sir Kenneth fit un effort pour remercier le Hakim ; mais son cœur était trop plein, et les sons confus qui accompagnèrent ses tentatives infructueuses pour parler, engagèrent le bon médecin à cesser ses consolations prématurées. Il laissa son nouveau serviteur, ou son hôte, se livrer sans contrainte à ses chagrins ; et ayant ordonné tous les préparatifs nécessaires pour leur départ du matin, il s’assit sur le tapis de la tente et prit un léger repas. Après qu’il eut satisfait à ce besoin, les mêmes mets furent offerts au chevalier écossais ; mais quoique les esclaves lui fissent entendre que la journée du lendemain serait fort avancée avant qu’ils pussent faire halte pour se rafraîchir, sir Kenneth ne put vaincre la répugnance que lui causait toute nourriture, et on ne put le décider à rien prendre qu’un verre d’eau fraîche.

Le médecin arabe avait depuis long-temps fait ses dévotions ordinaires, et s’était livré au repos, que l’Écossais avait encore les yeux ouverts, et le sommeil ne s’était pas encore emparé de lui à l’heure de minuit, quand un mouvement eut lieu parmi les domestiques ; ce mouvement, bien qu’il ne fût accompagné d’aucune parole et de très peu de bruit, lui fit comprendre qu’on chargeait les chameaux et qu’on se préparait au départ. Dans le cours de ces préparatifs le dernier individu qui fut dérangé, le médecin excepté,

  1. Joseph, fils de Jacob. a. m.