Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/242

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— Le pauvre esclave ne peut supporter les yeux de Votre Majesté, dit Neville, ce n’est pas autre chose.

— Voilà qui est bien, » poursuivit le roi en frappant du doigt le papier dont il continuait la lecture : « cet écrit téméraire nous apprend que notre fidèle muet est chargé par Saladin d’un message pour lady Édith Plantagenet, et demande les moyens de le lui remettre. Que penses-tu d’une si humble requête, Neville ?

— Je ne sais, répondit Neville, comment Votre Grâce prendra cette liberté, mais je ne répondrais pas du cou du messager qui irait porter une telle requête au soudan de la part de Votre Majesté.

— Grâces au ciel, dit Richard, je ne convoite aucune de ces beautés brûlées par le soleil ; et quant à punir cet homme parce qu’il exécute l’ordre de son maître, et cela au moment où il vient de me sauver la vie, il me semble que ce serait là une justice un peu trop sévère. Je vais t’apprendre un secret, Neville, car quoique nous ayons pour témoin ce noir, tu sais bien qu’il ne pourrait le répéter, quand même il le voudrait… Je te dirai donc que depuis quinze jours je suis sous l’influence d’un charme étrange, et je voudrais bien être désenchanté… Quelqu’un ne m’a pas plus tôt rendu service, que voilà tout-à-coup qu’il en détruit tout le mérite par quelque grave injure ; et d’une autre part, celui qui a mérité que je le condamne à la mort pour quelque trahison ou quelque outrage, se trouve être précisément une personne qui m’aura rendu quelque service éminent qui impose à mon honneur l’obligation de lui faire grâce… De cette manière tu vois que je suis privé de la plus grande partie de mes attributions royales, ne pouvant ni punir ni récompenser. Jusqu’à ce que l’influence de cet astre défavorable soit passée, je m’abstiendrai de rien dire sur la requête de ce noir, excepté qu’elle est d’une hardiesse peu commune, et que le meilleur moyen qu’il ait de trouver grâce à nos yeux est de tâcher de réussir dans la découverte qu’il a promis d’effectuer… En attendant, Neville, surveille-le toi-même, et qu’il soit honorablement traité… Et écoute encore, » ajouta-t-il tout bas, « cherche-moi cet ermite d’Engaddi, et amène-le-moi aussi : que ce soit un saint, un sauvage, un sage ou un fou, je veux lui parler secrètement. »

Neville se retira, sortit de la tente royale, faisant signe au Nubien de le suivre, fort surpris de ce qu’il avait vu et entendu, et surtout de la conduite peu ordinaire du roi. Rien n’était en général plus aisé que de découvrir le cours que prenaient les idées et les sensations de Richard, quoiqu’il fût dans certains cas assez diffi-