Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/241

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« prenez garde à ce que vous allez faire. La concorde vient d’être rétablie d’une manière imprévue dans notre sainte ligue ; voulez-vous, sur les indications d’un esclave nègre, déchirer des blessures si fraîchement fermées ? ou voulez-vous que cette procession, qu’on a destinée à servir de réparation à votre honneur et à ramener l’union parmi les princes divisés, serve à faire naître de nouveaux motifs de discorde, ou à faire revivre d’anciennes querelles ? Je ne crois pas me servir de termes trop forts en disant que ce serait violer vous-même la déclaration que Votre Grâce a faite au conseil assemblé de la croisade.

— Neville, » dit le roi en l’interrompant d’un ton sévère, « ton zèle te rend présomptueux et t’entraîne à l’oublier ; je n’ai jamais promis de m’abstenir de prendre des mesures pour découvrir l’infâme auteur de l’outrage fait à mon honneur : loin de faire cette promesse, je renoncerais plutôt à mon royaume, à la vie ; toutes mes déclarations ont été faites à cette condition positive et indispensable. Seulement si le duc d’Autriche se fût avancé pour avouer avec le courage d’un homme qu’il était l’auteur de cet outrage, j’offrais pour l’amour de la chrétienté de le lui pardonner.

— Mais, » continua le baron en insistant, « quelle apparence que cet esclave, ce jongleur de Saladin ne se joue pas de Votre Grâce ?

— Paix ! Neville ; tu te crois bien sage, et tu n’es qu’un fou. Souviens-toi de la recommandation que je t’ai faite au sujet de cet homme. Il y a en lui quelque chose que ton esprit westmorelandais ne peut pénétrer. Et toi, mon ami le muet, prépare-toi à accomplir l’œuvre à laquelle tu t’es engagé, et, par la parole d’un roi, tu choisiras toi-même ta récompense. Mais voyons, il écrit encore. »

Le muet effectivement écrivit et remit au roi, avec les mêmes cérémonies qu’auparavant, un morceau de papier contenant ces mots : « La volonté du roi est la loi de son esclave, et il ne convient pas à l’esclave de demander un guerdon pour accomplir son devoir. »

— Guerdon et devoir ! » dit le roi en interrompant sa lecture, et s’adressant à Neville en anglais, appuyant sur ces mots avec quelque emphase : « Ces Orientaux, ajouta-t-il, ont gagné à leurs relations avec les croisés… Ils acquièrent le langage de la chevalerie… Et voyez, Neville, comme cet homme paraît troublé ! si ce n’était à cause de sa couleur, on s’apercevrait qu’il rougit… Il ne me paraîtrait pas étrange qu’il entendît ce que je dis. Il ne faut se fier à eux en aucune langue.