Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/237

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pieds, et s’élançant en bondissant comme un tigre, fut derrière le roi en un moment, et brandit en l’air un poignard qu’il avait caché dans sa manche. La présence de toute son armée n’aurait pu sauver l’héroïque monarque, mais les mouvements du Nubien avaient été aussi bien calculés que ceux du santon ; avant que ce dernier pût frapper, l’esclave le saisit fortement par le bras. Alors, rejetant sa rage fanatique sur celui qui venait de s’interposer d’une manière si imprévue entre lui et sa victime, le Charégite, car c’était lui, porta au Nubien un coup de poignard qui ne fit qu’effleurer le bras, et n’empêcha point l’Éthiopien de renverser l’assassin par terre. À cet instant, Richard, s’apercevant de ce qui se passait, se leva, et sans témoigner ni surprise ni colère, ni même plus d’intérêt qu’un homme ordinaire n’en montrerait en chassant et écrasant une abeille importune, il se saisit du siège sur lequel il était assis, et s’écria seulement : « Ah, chien ! » il brisa le crâne de l’assassin qui s’écria deux fois, la première d’une voix élevée, la seconde d’un ton entrecoupé : « Allah ackbar ! (Dieu est vainqueur !) » et il expira aux pieds du roi.

« Vous êtes de soigneuses sentinelles, » dit le roi à ses archers d’un ton de reproche et de mépris ; car, attirés par cette scène, ils s’étaient élancés devant la tente avec tumulte et confusion ; « vous êtes de vigilantes sentinelles, de me laisser faire par mes mains l’office du bourreau ! Taisez-vous tous, et cessez vos clameurs insensées ; n’avez-vous jamais vu un Turc mort ? Écoutez, jetez-moi cette charogne hors du camp, séparez la tête du corps, piquez-la au bout d’une lance, en ayant soin de tourner le visage du côté de le Mecque, afin qu’il lui soit plus facile de dire à l’infâme imposteur qui lui inspira ce dessein comment il a rempli sa mission. Quant à toi, mon noir et silencieux ami, » ajouta-t-il en se tournant vers l’Éthiopien ; « mais qu’est ceci ? tu es blessé, et par une arme empoisonnée, je gage, car au moyen d’un coup si faible, un animal aussi chétif que celui-là n’aurait pu guère espérer que d’érafler la peau du lion. Que l’un de vous suce le poison de sa blessure : le venin est sans pouvoir sur les lèvres qui le recueillent, quoique mortel quand il se mêle au sang. »

Les soldats se regardèrent entre eux avec embarras et hésitation ; la crainte d’un danger de ce genre s’étant emparé de ceux qui n’en craignaient pas d’autres.

« Eh quoi ! drôles, continua le roi, êtes-vous si délicats, ou est-ce la crainte de la mort qui vous fait tarder ainsi ?