Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désert, espèces d’enthousiastes qui se risquaient quelquefois dans le camp des croisés, quoiqu’ils fussent toujours traités avec mépris, quelquefois même avec violence. Il faut dire que le luxe et la vie dissolue des chefs chrétiens avaient attiré dans leurs tentes un concours varié de musiciens, de courtisanes, de marchands juifs, de Cophtes, de Turcs, et de tout le rebut des différentes nations orientales ; de sorte que le but de l’expédition étant de chasser le cafetan et le turban de la Terre-Sainte, il n’était cependant ni rare ni alarmant d’en rencontrer dans le camp des croisés. Quand le pauvre personnage que nous avons décrit fut assez près des sentinelles pour craindre d’en être arrêté, il ôta de sa tête son turban d’un vert foncé ; on put voir alors que sa barbe et ses sourcils étaient rasés comme ceux d’un bouffon de profession, et que l’expression de ses traits bizarres et ridés et de ses petits yeux noirs qui étincelaient comme des jais, était celle d’une imagination en délire.

« Danse, marabout ! » s’écrièrent les soldats habitués aux manières de ces enthousiastes vagabonds, « danse ou nous te fouettons avec les cordes de nos arcs jusqu’à ce que tu tournes comme jamais toupie n’a tourné sous le fouet d’un écolier. » Ainsi parlèrent les hommes d’armes aussi enchantés d’avoir un objet à tourmenter, qu’un enfant qui attrape un papillon, ou découvre un nid d’oiseaux.

Le marabout, comme s’il n’eût demandé qu’à leur faire plaisir, bondit de terre, et se mit à danser et à tourner avec une singulière agilité qui, contrastant avec son corps chétif et amaigri et sa figure ridée, le faisait ressembler à une feuille sèche enlevée par un ouragan. Une seule mèche de cheveux s’élevait sur le sommet de son front chauve et ras, comme pour donner prise à quelque génie invisible ; et en effet, on eût pu croire qu’un art surnaturel coopérait à l’exécution de cette danse sauvage et de ces tournoiements bizarres, pendant lesquels le pied du danseur semblait à peine toucher la terre. S’abandonnant aux caprices de son humeur dansante, il voltigeait çà et là d’un endroit à un autre, quoique se rapprochant toujours insensiblement de la tente royale, de sorte que, après deux ou trois bonds plus hauts que les précédents, il tomba sur la terre, épuisé de fatigue, à cinquante pas environ de la personne du roi.

« Donnez-lui de l’eau, dit un des gardes ; ils demandent toujours à boire après leurs cabrioles.

— Ah, ah ! de l’eau, dis-tu ? Long-Allen, » répliqua un autre archer avec une forte expression de mépris pour cet élément,