Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/231

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Le muet fit un signe affirmatif, et, s’avançant vers la cotte de mailles qui, avec le bouclier et le casque du monarque guerrier, était pendue au support de la tente, il la mania avec une adresse qui indiquait assez qu’il connaissait bien tous les soins qu’exigeait une armure.

« Tu me parais adroit, et je ne doute pas que tu ne me sois utile, dit le roi… Je t’attache à ma chambre et à ma personne, pour montrer combien j’estime le don du royal soudan… Si tu n’as pas de langue, il en résulte que tu ne feras pas de rapports, et que tu ne me mettras pas en colère par des réponses déplacées. »

Le Nubien se prosterna de nouveau, et toucha la terre de son front, puis se releva et se tint droit, à quelques pas, comme attendant les ordres de son nouveau maître.

« Je veux que tu commences dès à présent ton service, reprit le roi. Je vois une tache de rouille sur ce bouclier, et quand je l’offrirai aux regards de Saladin, je désire qu’il soit brillant et sans tache comme l’honneur du sultan. »

On entendit un cor au dehors, et le moment d’après, sir Henri Neville entra avec un paquet de dépêches. « Cela vient d’Angleterre, milord, » dit-il en les remettant à Richard.

« D’Angleterre ! de notre Angleterre ! » répéta Richard d’un ton d’intérêt et de mélancolie… « hélas ! mes sujets sont loin de se douter à quel point leur souverain a été assiégé par la maladie et le chagrin… entouré d’amis froids et d’ennemis entreprenants ! » Puis, ouvrant les dépêches, il dit vivement : « Ah, ah ! ces nouvelles ne viennent pas d’un royaume paisible… Il est aussi livré aux divisions… Neville, retirez-vous, que j’examine ces dépêches seul et à loisir. »

Neville se retira en conséquence, et Richard fut bientôt absorbé dans les tristes détails qui lui étaient transmis d’Angleterre sur les factions qui déchiraient alors ses États. On lui apprenait les divisions de ses frères Jean et Geoffroi, et les querelles de ces deux princes avec le grand justicier Longchamps, évêque d’Elby ; l’oppression exercée par les nobles sur les paysans, et les révoltes de ces derniers contre leurs maîtres ; révoltes qui avaient amené partout des scènes de discorde accompagnées, dans plusieurs cas, d’effusion de sang. À ce récit de circonstances mortifiantes pour son orgueil et attentatoires à son autorité, étaient mêlés les avis et les prières que lui adressaient les plus sages et les plus fidèles de ses conseillers, afin qu’il se hâtât de retourner en Angleterre où sa