Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/230

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convaincre bientôt de ton erreur à l’aide des forces invincibles de nos mille tribus. C’est alors que Mahomet, le prophète de Dieu, et Allah, le dieu de Mahomet, décideront cette querelle entre nous. Quant au reste, nous faisons le plus grand compte de toi, et te remercions des présents que tu nous as envoyés, ainsi que des deux nains, aussi singuliers qu’Ysop[1] dans leur difformité, et aussi divertissants que le luth d’Isaac. En retour de ces gages de ta générosité, nous t’envoyons un esclave nubien, nommé Zohank, dont nous te prions de ne pas juger d’après sa couleur, comme les insensés de la terre ; car le fruit dont l’écorce est brûlée par le soleil a le goût plus exquis. Sache qu’il est aussi prompt à exécuter la volonté de son maître que Rustan du Zablestan. Tu le trouveras aussi plein de sagesse dans ses conseils, quand tu auras appris à communiquer avec lui, car la reine de la parole a été frappée de silence entre les murs d’ivoire de son palais. Nous le recommandons à tes soins, espérant que le moment n’est pas éloigné où il pourra te rendre de bons services. Sur quoi, nous te disons adieu, dans la confiance que notre saint prophète t’appellera un jour à la vraie lumière : dans le cas contraire, nous n’avons pas de vœu plus ardent que de te voir promptement rendu à la santé, afin qu’Allah puisse décider entre nous deux sur un champ de bataille. »

Cette missive était revêtue de la signature et du sceau de Saladin.

Richard contempla en silence le Nubien, qui, se tenant devant lui, les yeux fixés sur la terre, les bras croisés sur sa poitrine, offrait l’image d’une statue de marbre noir du plus admirable travail, prête à s’animer sous la main de Prométhée. Le roi d’Angleterre, ainsi qu’on l’a dit d’un de ses successeurs, Henri VIII, aimait à regarder un homme ; il contemplait avec plaisir les membres musclés et nerveux, et les belles proportions de celui qui était devant lui ; enfin il lui dit en langue franque : « Es-tu païen ? »

L’esclave secoua la tête, et, portant le doigt à son front, il fit le signe de la croix, puis reprit son altitude humble et immobile.

« Un chrétien de Nubie, sans doute. Et ces chiens de païens t’auront mutilé l’organe de la parole. »

Le muet secoua encore une fois la tête en signe de négation, puis éleva son index vers le ciel, et le posa ensuite sur ses lèvres.

« Je t’entends, cette infirmité te vient du ciel, et non de la cruauté des hommes. Sais-tu nettoyer une armure et un ceinturon, et en revêtir un chevalier ? »

  1. Ésope. a. m.