Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/225

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Le bon roi Richard se trouva fort embarrassé. Il essaya en vain de raisonner avec une femme trop jalouse de son amour pour être en état de prêter l’oreille à aucun argument ; et lui-même ne put se décider à avoir recours à son autorité légitime avec une si charmante créature, pour mettre un terme à son mécontentement déraisonnable. Il fut donc réduit à se tenir sur la défensive, et chercha, en la grondant doucement de ses soupçons, à calmer son déplaisir, à lui rappeler que le passé ne devait exciter en elle aucun souvenir qui pût faire naître des remords ou des craintes superstitieuses, puisque sir Kenneth était vivant et se portait bien, et qu’enfin il l’avait donné au grand médecin arabe, qui de tous les hommes était sans aucun doute le plus en état de le conserver en bonne santé. Mais ceci ne fit que rendre la blessure plus cuisante, et la douleur de la reine se renouvela avec plus de vivacité à l’idée qu’un Sarrasin, un médecin, avait obtenu une grâce qu’elle avait en vain implorée de son époux à deux genoux devant lui et la tête nue. À cette nouvelle accusation, la patience de Richard commença à lui échapper, et il répondit d’un ton un peu sévère : « Bérengère, ce médecin m’a sauvé la vie ; si elle a quelque prix à vos yeux, vous ne lui envierez pas une telle récompense, puisque c’est la seule que j’aie pu le déterminer à accepter. »

La reine sentit qu’elle avait porté cet artifice de coquetterie aussi loin qu’elle pouvait sans danger.

« Mon Richard, dit-elle, pourquoi ne m’avez-vous pas amené ce sage, afin que la reine d’Angleterre pût montrer le cas qu’elle fait de celui qui a su conserver le flambeau de la chevalerie, la gloire d’Albion, la lumière et la vie de la pauvre Bérengère ? »

En un mot la querelle conjugale fut apaisée ; mais afin que la justice ne perdît pas tout-à-fait ses droits, le roi et la reine s’accordèrent pour rejeter tout le blâme de cette affaire sur l’instrument Nectabanus, dont la bouffonnerie commençait à ennuyer la reine, et qui, avec sa royale épouse Genèvre, fut condamné à être banni de la cour. Le malheureux nain n’échappa même au fouet, qui lui aurait été donné par forme de supplément, que sur les assurances de la reine qu’il avait déjà subi un châtiment corporel. On décréta aussi qu’un envoyé serait expédié vers Saladin pour lui apprendre la résolution du conseil de reprendre les hostilités aussitôt la fin de la trêve ; et comme Richard se proposait d’envoyer un présent de prix à Saladin en reconnaissance du bien qu’il avait éprouvé des services d’El Hakim, on décida d’y joindre ces deux malheureuses