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par le soleil, formait une substance plus impalpable que le sable le plus fin. Il procura ainsi un peu de soulagement à son fidèle destrier, en s’imposant un surcroît de fatigue ; car, enfermé comme il l’était dans une armure d’acier, il s’enfonçait dans le sol de manière à y ensevelir ses chaussures de fer, chaque fois qu’il mettait le pied sur cette surface légère et mobile.

« Vous avez raison, » dit le Sarrasin, et c’était le premier mot qui eût été prononcé depuis que leur trêve était conclue… « Votre bon cheval mérite vos soins ; mais que faites-vous, dans le désert, d’un animal qui s’enfonce jusqu’au fanon à chaque pas, comme s’il allait prendre des racines aussi profondes que celles du dattier.

— Tu parles bien, Sarrasin, » répondit l’Européen fort peu charmé de la manière dont l’infidèle critiquait son cheval favori… « Tu parles aussi bien que tes connaissances et tes observations peuvent te le permettre ; mais mon bon cheval m’a souvent transporté dans mon pays de l’autre côté d’un lac aussi large que celui qui s’étend là-bas derrière nous, et sans qu’il eût un seul poil mouillé au dessus du sabot. »

Le Sarrasin le regarda avec autant de surprise que la gravité orientale lui permettait d’en témoigner, c’est-à-dire qu’un dédaigneux sourire releva presque imperceptiblement la large et épaisse moustache qui bordait sa lèvre supérieure.

« On a eu raison de dire, » ajouta-t-il en reprenant son sang-froid accoutumé… « Écoutez un Franc, et vous entendrez une fable.

— Tu as bien peu de courtoisie, infidèle, reprit le croisé, de dire à un chevalier que tu doutes de sa parole, et si ce n’était que tu as parlé par ignorance plus que par malice, notre trêve aurait vu son terme quand elle est à peine commencée. Croiras-tu que je te raconte une fable quand je te dirai que, moi faisant partie de cinq cents cavaliers complètement armés, nous avons parcouru à cheval, et pendant l’espace de plusieurs milles, des eaux aussi solides que le cristal, et dix fois moins susceptibles de se briser.

— Que voudrais-tu me faire croire ? répondit le musulman ; cette mer intérieure que tu viens de me montrer a cela de particulier que, par la malédiction spéciale de Dieu, rien ne peut tomber dans ses eaux qu’elle ne le repousse et ne le rejette sur ses bords. Mais ni la mer Morte, ni aucun des sept océans qui environnent la terre ne souffriront la pression d’un pied sur leur surface, pas plus que la mer Rouge n’endura le passage de Pharaon et de son armée.