Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/214

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salem ; elle portait cette devise : Afflictœ sponsœ ne obliviscaris[1]. Des gardes choisis avec soin éloignaient tout le monde du voisinage de cette tente, de peur que les débats, qui étaient quelquefois bruyants et orageux, ne parvinssent à des oreilles qui n’étaient pas destinées à les entendre.

C’était donc là que les princes de la croisade étaient rassemblés attendant l’arrivée de Richard ; ses ennemis surent profiter de son retard pour l’interpréter au désavantage de ce prince. On rappela tout bas différents exemples de son orgueil et de la présomption avec laquelle il s’arrogeait une supériorité à laquelle il n’avait pas de droits, et on en cita ce court moment d’attente comme une nouvelle preuve. Chacun cherchait à se fortifier dans l’opinion défavorable qu’il avait de lui, et à justifier à ses propres yeux le ressentiment qu’il éprouvait, en interprétant de la manière la plus sévère des circonstances fort insignifiantes ; tout cela peut-être parce qu’il sentait intérieurement pour le roi d’Angleterre un certain respect involontaire, qu’on ne pouvait vaincre sans des efforts extraordinaires. Ils étaient donc convenus entre eux de lui faire peu d’accueil à son arrivée, et de se renfermer tout juste dans les bornes du respect qu’exigeait la cérémonie. Mais quand ils virent la noble personne du héros ; quand ils contemplèrent cette figure majestueuse un peu pâlie par la maladie, cet œil, appelé par les ménestrels la brillante étoile des combats et de la victoire ; quand ses hauts faits, s’élevant au delà de la force et de la valeur humaine, se retracèrent à leur mémoire, tous se levèrent ; le jaloux roi de France lui-même, et le duc d’Autriche, sombre et courroucé, se levèrent aussi d’un commun mouvement, et tous les princes assemblés s’écrièrent d’une voix unanime : « Vive le roi Richard d’Angleterre ! que Dieu accorde une longue vie au vaillant Cœur-de-Lion ! »

Le front ouvert et serein comme le soleil d’été à son lever, le roi Richard remercia ceux qui l’entouraient, et se félicita de se retrouver encore une fois au milieu des princes croisés.

« Il désirait, » dit-il en se tournant vers l’assemblée, « leur adresser quelques paroles sur lui personnellement, quoique ce fût un sujet bien indigne de les occuper, au risque de retarder pendant quelques minutes leurs délibérations sur les intérêts de la chrétienté et de leur sainte entreprise. »

Les princes croisés reprirent leurs sièges, et il se fit un profond silence.

  1. N’oubliez pas l’éponge de l’affligée. a. m.