Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/208

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s’irriter ; puis se retournant d’un air calme : « Tu as découvert un assez grand nombre de filles à un homme qui n’est marié que depuis quelques mois, révérend père ; mais puisqu’il faut que je les expulse de chez moi, je dois au moins en bon père les pourvoir convenablement. Ainsi, je me déferai de mon orgueil en faveur des princes de l’Église ; je donnerai ma luxure, puisque tu l’appelles ainsi, aux moines, et ma cruauté aux chevaliers du Temple.

— Ô cœur d’acier et main de fer, pour qui tout exemple et tout conseil sont également perdus ! s’écria l’anachorète. Et cependant tu serais encore épargné quelque temps si tu venais à changer et à faire ce qui est agréable au ciel. Quant à moi, il faut que je retourne à l’endroit d’où je suis venu… Kyrie eleison ! Les rayons de la grâce divine se communiquent par moi, de même que ceux du soleil pénètrent à travers un verre qui les concentre sur d’autres objets, au point de les enflammer et de les brûler, tandis qu’il reste lui-même froid et inaccessible à leur influence. Kyrie eleison ! Le pauvre doit être appelé au banquet, puisque le riche a refusé de s’y asseoir… Kyrie eleison !

En parlant ainsi il sortit de la tente en poussant de grands cris.

« Ce n’est qu’un prêtre insensé, » dit Richard, de l’esprit duquel les exclamations fanatiques de l’ermite avaient en partie effacé l’impression produite par le récit des malheurs d’Albérick. « Suis-le, de Vaux, et veille à ce qu’il ne lui arrive aucun mal, car tous croisés que nous sommes, un bouffon trouvera plus d’égards parmi nos varlets qu’un prêtre ou un saint, et il se pourrait qu’on le traitât avec mépris. »

Le chevalier obéit, et Richard resté seul s’abandonna aux pensées que lui inspiraient les prophéties menaçantes du moine. « Une mort prématurée, sans lignage, sans laisser de regrets après soi… C’est un arrêt sévère, et il est heureux qu’il ne soit pas prononcé par un juge plus éclairé ; et cependant les Sarrasins qui sont instruits dans les sciences mystiques prétendent que celui aux yeux duquel les lumières du sage ne sont que ténèbres accorde au fou l’esprit de prophétie. Cet ermite, dit-on, sait lire aussi dans les astres dont la connaissance est généralement répandue dans ce pays où les corps célestes furent autrefois un objet d’idolâtrie… J’ai regret de ne pas lui avoir fait de questions sur la perte de ma bannière ; car le bienheureux fondateur de son ordre ne pouvait avoir de plus merveilleuses extases, ni parler un langage plus semblable