Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/207

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giai dans un cloître ; et Satan, qui m’avait marqué pour devenir sa créature, souffla dans mon âme une bouffée d’orgueil spirituel qui ne pouvait s’échapper que de ses régions infernales. Je m’étais élevé aussi haut dans l’Église que je l’avais été précédemment dans l’État. Je me crus l’homme sage par excellence, capable de se suffire à lui-même et à l’abri du péché…. J’étais le conseiller des conciles, le directeur des prélats… Comment aurais-je failli ? Pourquoi aurais-je craint la tentation ?… Hélas ! je devins confesseur d’une communauté de religieuses, et parmi elles je retrouvai celle que j’avais aimée, que j’avais perdue depuis si long-temps… Épargnez-moi de pousser plus loin cet aveu… Une religieuse séduite, que la honte entraîna au suicide, dort maintenant sous les voûtes d’Engaddi, tandis que sur sa tombe même gémit, rugit et délire un être auquel il ne reste que ce qu’il faut de raison pour lui faire sentir complètement l’horreur de son sort.

— Infortuné ! dit Richard, je ne m’étonne plus de ton désespoir. Comment échappas-tu à la sentence que les lois de l’Église prononcent contre ta faute ?

— Demande-le à celui qui appartient encore à ce monde d’amertume, et il te parlera d’une existence épargnée par des motifs purement humains, par des considérations pour le rang et la naissance… Mais moi, Richard, je te dirai que la Providence m’a conservé pour m’élever aussi haut que la lumière d’un phare dont les cendres, lorsque le feu terrestre en sera éteint, ne seront pas moins jetées dans le Tophet. Tout flétri et contracté que soit ce misérable corps, il est encore animé de deux esprits : l’un actif, pénétrant et subtil, est dévoué à la cause de l’Église de Jérusalem ; l’autre, vil, abject et désespéré, flottant entre la folie et la douleur, n’est capable que de pleurer sur mes misères, et de garder les saintes dépouilles sur lesquelles je ne pourrais, sans profanation, jeter un seul regard. Ne me plains pas… Ce serait un péché de plaindre un objet tel que moi… Ne me plains pas, mais profite de mon exemple !… Tu occupes la place la plus élevée, et par conséquent la plus dangereuse parmi tous les princes chrétiens ; ton cœur est plein d’orgueil ; ta vie est dissolue, ta main sanguinaire. Défais-toi de ces péchés que tu chéris comme des filles, tout attaché que leur soit le coupable fils d’Adam ; chasse de ton sein ces furies que tu y nourris… ton orgueil, ta luxure et ta cruauté.

— Il délire, » dit Richard en se tournant vers de Vaux comme s’il eût ressenti quelque peine de ce reproche dont il ne pouvait