Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/204

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non pour mon propre usage, mais pour l’usage de l’Église et la propagation de la croix. Je suis l’aveugle qui porte une torche pour les autres, quoiqu’elle ne puisse l’éclairer lui-même. Parle-moi touchant les intérêts de la chrétienté et de cette croisade, et je te répondrai comme le plus sage conseiller auquel le ciel puisse accorder le don de la persuasion. Parle-moi de mon misérable individu, et mes paroles seront celles d’un malheureux proscrit livré à la démence et au désespoir.

— Je ne voudrais pas rompre les liens d’union entre les princes croisés, » dit Richard d’un ton plus doux ; « mais quelle réparation m’offriront-ils pour l’injuste outrage qui m’a été fait ?

— C’est sur quoi je suis chargé de vous entretenir de la part du conseil qui, s’assemblant à la hâte sur la demande de Philippe de France, a pris des mesures à cet effet.

— Il est étrange, objecta Richard, que d’autres s’occupent de l’offense faite à la majesté de l’Angleterre.

— On a désiré prévenir vos demandes autant que possible, répondit l’ermite. Les chefs assemblés consentent à ce que la bannière d’Angleterre soit replacée sur le mont Saint-George. Ils prononcent anathème contre le criminel ou les criminels audacieux par qui elle fut outragée, et promettent une récompense royale à celui qui dénoncera le coupable et donnera sa chair aux loups et aux corbeaux.

— Et que dit le duc d’Autriche, que les plus fortes présomptions accusent d’être l’auteur de cet outrage ? demanda Richard.

— Pour prévenir la discorde dans l’armée, le duc d’Autriche se justifiera de ce soupçon en se soumettant à quelque épreuve que le patriarche voudra lui imposer.

— Se justifiera-t-il par le jugement par combat ?

— Son serment l’en empêche, et d’ailleurs le conseil des princes…

— N’autorisera jamais le combat ni contre les Sarrasins, ni contre tout autre, interrompit Richard… Mais c’est assez, mon père ; vous m’avez fait apercevoir la folie d’agir dans cette affaire comme je le voulais… Il est plus facile d’allumer une torche dans un bourbier que de faire jaillir une étincelle de courage d’un lâche dont le sang est glacé dans les veines… Il n’y a aucun honneur à acquérir avec l’Autrichien ; ainsi laissons cela… Cependant j’aurai le plaisir de lui voir commettre un parjure ; j’insisterai pour qu’il subisse l’épreuve… Combien je rirai en voyant ses doigts se crisper sur le globe de fer rouge, et sa grande bouche se tordre, et son