Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/188

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la couverture du lit qui, d’après son choix, et plus probablement par une attention flatteuse des chambellans, était faite de la peau de deux énormes lions, préparée à Venise avec un art si admirable qu’elle semblait plus douce au toucher qu’une peau de daim.

Bérengère, telle que nous l’avons peinte, savait bien (et quelle femme l’ignore ?) quels moyens il lui fallait employer pour vaincre. Après avoir jeté un regard plein d’une inexprimable horreur sur l’effroyable ministre de la vengeance de son époux, elle s’élança auprès du lit de Richard, tomba à genoux, laissa glisser la mante qui l’enveloppait, et montra flottantes sur ses belles épaules les longues tresses de ses cheveux dorés. En ce moment, le visage de la reine eût pu se comparer au soleil qui sort d’un nuage, portant encore sur son front pâli la trace des vapeurs qui l’effaçaient ; elle saisit le bras du roi qui, au moment où il s’était retourné, était occupé à remonter sur lui la couverture ; et, l’attirant à elle avec une force à laquelle il essaya faiblement de résister, elle s’empara de ce bras, l’appui de la chrétienté et la terreur du païen, l’enlaça de ses deux petites mains, et, y appuyant son front, elle le pressa de ses lèvres.

— Que signifie cela, Bérengère ? » demanda Richard la tête toujours tournée de l’autre côté, mais ne retirant plus sa main.

« Renvoyez cet homme, sa vue me tue, murmura la reine.

— Sors d’ici, maraud » dit Richard sans se retourner. « Qu’attends-tu là ; es-tu fait pour regarder ces dames ?

— Quelle est la volonté de Votre Altesse concernant la tête ? dit l’homme.

— Hors d’ici, chien ! répéta Richard. La sépulture chrétienne ! »

L’homme disparut après avoir jeté un regard sur la charmante reine qui, dans sa parure négligée, brillait de tout l’éclat de sa beauté naturelle ; et le sourire d’admiration qui lui échappa avait quelque chose de plus hideux encore que son regard habituel plein de cynisme et de haine contre l’humanité.

— Et maintenant, petite folle, que nous veux-tu ? » dit Richard en se tournant lentement et comme avec répugnance vers la reine suppliante.

Mais il n’était pas dans la nature d’un homme, et moins encore d’un aussi ardent admirateur de la beauté à laquelle il ne préférait que la gloire, de regarder sans émotion le visage altéré et l’effroi d’une aussi belle créature, et de sentir, sans éprouver une vive sympathie, des lèvres si douces s’appuyer sur une main qu’elle arrosait en même temps de larmes. Insensiblement, il tourna vers elle