Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/169

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— Que dis-tu ? » s’écria sir Kenneth, qui, ayant écouté avec indifférence la première partie du discours d’El Hakim, parut soudainement frappé de cette dernière nouvelle : ainsi le tressaillement subit d’un nerf peut occasionner une sensation de douleur aiguë, même dans l’engourdissement de la paralysie. Ayant ensuite réussi, non sans avoir besoin des plus grands efforts, à modérer la violence de ce premier mouvement, et déguisant son indignation sous un air de doute et de mépris, il poursuivit la conversation : car il voulait s’éclairer sur ce qu’il regardait comme un complot contre la gloire et le bonheur de celle qui lui était toujours chère, quoique cette fatale passion dût, suivant toute apparence, causer sa propre perte et celle de son honneur. « Et quel est le chrétien, » dit-il avec assez de calme, « qui voudrait sanctionner l’union impie d’une fille chrétienne avec un infidèle Sarrasin ?

— Tu n’es qu’un Nazaréen ignorant et aveugle ! Ne vois-tu pas tous les jours, répliqua El Hakim, les princes mahométans d’Espagne s’allier à de nobles Nazaréens, sans qu’il en résulte de scandale parmi les Maures ou les chrétiens ? Plein de confiance dans le sang de Richard, le noble soudan laissera jouir la jeune Anglaise de la liberté que les mœurs frankes ont accordée aux femmes. Il lui permettra de suivre librement sa religion, pensant que, dans le fond, il est assez indifférent qu’une femme soit d’une croyance ou d’une autre… Et il lui assignera un rang tellement élevé au dessus de toutes les femmes de son harem, qu’elle sera, sous tous les rapports, son unique épouse et leur souveraine absolue.

— Quoi ! s’écria sir Kenneth, oses-tu penser, musulman, que Richard consente à voir sa parente, illustre et vertueuse princesse, devenir la sultane favorite du harem d’un infidèle ! Apprends, Hakim, que le dernier des chevaliers chrétiens dédaignerait pour son enfant cette brillante ignominie.

— Tu es dans l’erreur, répondit El Hakim… Philippe de France et Henri de Champagne, ainsi que plusieurs autres alliés de Richard, ont entendu cette proposition sans étonnement, et ont promis le concours de tous leurs efforts pour assurer une alliance qui mettrait un terme à ces guerres dévastatrices. Le sage archevêque de Tyr, lui-même, s’est chargé de communiquer ces offres à Richard, ne doutant pas de l’issue favorable de cette affaire. La sagesse du soudan n’a point encore communiqué cette proposition

    mari. Ils semblent avoir ignoré totalement l’existence d’Édith Plantagenet. Histoire des Croisades, par Mill, II, page 61.