Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/168

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les princes dont les forces sont ici rassemblées, et tu ne connaissais peut-être pas entièrement le but de ta mission.

— Je ne le connais pas et ne m’en soucie guère, » dit le chevalier avec impatience. « À quoi me sert-il d’avoir été dernièrement l’envoyé des princes, quand avant la nuit je puis avoir péri sur un infâme gibet ! quand ce soir il ne restera peut-être plus de moi qu’un cadavre déshonoré !

— C’est précisément pour éviter un tel sort que je te parle ainsi, dit le médecin. De tous côtés on recherche l’amitié de Saladin ; les différents chefs de cette ligue formée contre lui se sont réunis pour lui faire des propositions d’accommodement et de paix, telles que, dans toute autre circonstance, l’honneur lui eût permis de les accepter. D’autres lui ont fait des offres particulières pour leur propre compte : ils veulent séparer leurs forces de celles du roi du Frangistan, et même prêter l’appui de leurs armes à la défense de l’étendard du Prophète. Mais Saladin ne veut pas profiter d’une défection si lâche et si intéressée : le roi des rois ne veut rien conclure qu’avec le roi lion ; Saladin ne veut faire de pacte qu’avec Melec-Ric, et il prétend traiter avec lui en monarque, ou le combattre en brave champion. Il peut accorder à Richard, par l’effet de sa propre générosité, des conditions que toutes les épées de l’Europe ne lui arracheraient point par la force ou par la terreur ; il permettra le pèlerinage de Jérusalem et de tous les lieux en vénération parmi les Nazaréens ; bien plus, il partagera son empire avec son frère Richard jusqu’à permettre aux chrétiens d’établir une garnison dans les six plus fortes villes de la Palestine, une même dans Jérusalem, qui sera sous le commandement immédiat des officiers de Richard, auquel il consent à laisser porter le nom de Roi gardien de Jérusalem. Il y a mieux, et quelque étrange et surprenant que cela puisse vous paraître, sachez, sire chevalier, car je puis confier à votre honneur ce secret presque incroyable, sachez donc que Saladin scellera d’une manière sacrée cette heureuse union entre ce que le Frangistan et l’Asie ont de plus brave et de plus noble, en élevant au rang de son épouse une fille chrétienne alliée par le sang au roi Richard, et connue sous le nom de lady Édith de Plantagenet[1]

  1. Ce projet du soudan peut paraître si extraordinaire et si invraisemblable, qu’il est nécessaire de déclarer qu’il fut réellement question d’un arrangement de cette nature. Cependant, à la place d’Édith, les historiens citent la reine douairière de Naples, sœur de Richard, pour l’épouse fiancée, et le frère de Saladin pour le