Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/167

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— La science est la mère du pouvoir, répliqua El Hakim, de même que la valeur produit la force… Écoute, l’homme n’est pas un arbre attaché pour toujours à tel ou tel coin de terre… il n’est pas destiné à se fixer à un rocher comme le poisson renfermé dans un coquillage, et qui n’a qu’une demi-existence. Ta loi chrétienne elle-même te commande, lorsque tu es persécuté dans une ville, de te réfugier dans une autre ; et nous, musulmans, nous savons que Mahomet, le prophète d’Allah, chassé de la sainte ville de la Mecque, trouva un asile et des partisans à Médine.

— Et quel rapport cela peut-il avoir avec moi ? demanda l’Écossais.

— Un grand, répondit le médecin : le sage lui-même fuit la tempête à laquelle il ne peut commander. Ne perds donc pas de temps pour te mettre à l’abri de la vengeance de Richard sous la bannière victorieuse de Saladin.

— En effet, » reprit le chevalier d’un ton d’ironie, « il me serait facile de cacher ma honte dans le camp des infidèles, auxquels le nom même d’honneur est inconnu ; mais ne ferais-je pas mieux de m’assimiler encore davantage à eux ? Tes avis ne vont-ils pas jusqu’à m’engager à prendre le turban. Il me semble qu’il ne me manque plus que de devenir apostat pour consommer mon infamie.

— Ne blasphème pas, Nazaréen, » dit le médecin d’un ton sévère. « Saladin ne reçoit point de convertis à la loi du Prophète, si ce n’est ceux que ses préceptes ont convaincus. Ouvre tes yeux à la lumière, et le grand soudan, dont la libéralité n’a pas plus de bornes que le pouvoir, peut te faire don d’un royaume… Reste, si tu veux, dans ton aveuglement ; et quoique tu sois condamné à souffrir dans l’autre vie, Saladin, dans celle-ci, ne t’en rendra pas moins riche et heureux. Mais ne crains pas que ta tête soit jamais ceinte du turban, à moins que ce ne soit de ton propre choix.

— Mon choix serait plutôt, s’écria le chevalier, de subir le supplice qui probablement m’attend aujourd’hui au coucher du soleil.

— Et cependant tu n’es pas sage, Nazaréen, reprit El Hakim, de rejeter cette offre avantageuse ; car j’ai du crédit auprès de Saladin, et je pourrais t’élever assez haut dans ses bonnes grâces. Écoute-moi, mon fils ; cette croisade, suivant le nom que vous donnez à cette folle entreprise, est comme un immense vaisseau dont toutes les pièces se détachent ; toi-même tu as été porteur des conditions d’une trêve demandée au puissant soudan par les rois et