Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/165

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Honteux d’être surpris s’abandonnant ainsi au chagrin comme une femme, sir Kenneth essuya ses larmes avec indignation, et se remit à s’occuper de son pauvre favori. « Le poète a dit, » continua l’Arabe sans faire attention à l’embarras et au mécontentement du chevalier : « Le bœuf est pour les champs et le chameau pour le désert. La main du médecin, moins habile à faire des blessures que celle du soldat, n’est-elle pas plus propre à les guérir ?

— Les secours de ton art ne peuvent rien pour ce blessé, Hakim, répondit sir Kenneth ; et d’ailleurs, d’après ta loi, c’est un animal impur.

— Le sage qu’Allah a doué de lumière, reprit le médecin, se rendrait coupable du péché d’orgueil en refusant de prolonger l’existence ou d’adoucir la souffrance de l’être auquel Allah daigna accorder la vie et le sentiment de la douleur et du plaisir. Pour ce sage il doit exister peu de différence entre la guérison d’un misérable serviteur, d’un pauvre chien, ou d’un monarque conquérant. Laissez-moi examiner le blessé. »

Sir Kenneth consentit en silence, et le médecin visita et sonda la blessure de Roswall avec autant de soin et d’attention que si c’eût été une créature humaine. Il eut ensuite recours à sa boîte d’instruments, et par l’usage judicieux et adroit qu’il fit de ses pinces, il réussit à tirer de l’épaule blessée le fragment de lance qui y était resté ; puis il arrêta avec des styptiques et des bandages l’effusion du sang qui s’ensuivit ; et le pauvre animal souffrait patiemment toutes ces opérations, comme s’il eût compris les intentions bienfaisantes de l’étranger.

« Cet animal peut être guéri, dit El Hakim, si vous voulez me permettre de l’emporter dans ma tente, où je le traiterai avec le soin que mérite la noblesse de sa nature ; car sachez que votre serviteur Adonebec n’est pas moins habile dans la connaissance des différentes races et espèces qui distinguent le chien fidèle et le noble coursier, que dans celle des maladies qui affectent la race humaine.

— Emportez-le donc avec vous, répondit le chevalier ; s’il guérit, je vous en fais volontiers le don. Je vous dois une récompense pour avoir soigné mon écuyer, et je n’ai d’autre moyen de m’acquitter. Quant à moi, c’en est fait, je ne ferai plus résonner le cor, je ne ferai plus entendre le cri de chasse. »

L’Arabe ne répliqua point, il frappa dans ses mains, et à ce signal deux esclaves noirs parurent immédiatement. Il leur donna