Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/159

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grand crime avons-nous commis ? Un jeune chevalier a été attiré ici. S’il a quitté un moment son poste, que personne ne viendra prendre en son absence, c’est pour l’amour d’une belle dame : car pour rendre justice à votre champion, cousine, Nectabanus, malgré toute sa finesse, n’a pu l’attirer ici qu’en votre nom.

— Dieu de merci ! ai-je bien entendu Votre Majesté, » s’écria Édith d’une voix qui indiquait beaucoup plus d’alarme qu’elle n’en avait encore montré. « Il n’est pas possible que vous ayez parlé sérieusement… Cela est incompatible avec votre honneur et le mien, celui de la parente de votre époux… Dites-moi que ce n’était qu’une plaisanterie, ma royale maîtresse, et pardonnez-moi d’avoir pu, pour un moment, prendre la chose au sérieux.

— Lady Édith, » dit la reine d’un air mécontent, « regrette la bague que nous lui avons gagnée. Nous vous rendrons ce bijou, ma belle cousine ; seulement il ne faut pas nous envier ce petit triomphe sur une prudence qui s’est si souvent étendue sur nous comme une bannière sur une armée.

— Un triomphe ! » s’écria Édith avec indignation ; « un triomphe ! le triomphe sera du côté des infidèles quand ils apprendront que la reine d’Angleterre a pu, dans un accès de folle gaîté, se faire un jeu de la réputation de la parente de son époux.

— Vous êtes fâchée, belle cousine, de perdre votre bague favorite, répéta la reine. Allons, puisque vous regrettez de payer votre gageure, nous renoncerons à notre droit. C’est votre nom et ce bijou qui l’ont amené ici, et nous nous soucions fort peu de l’hameçon une fois le poisson pris.

— Madame, » reprit impatiemment Édith, « Votre Grâce sait bien qu’elle ne peut rien désirer de ce qui est à moi que l’objet ne lui appartienne à l’instant. Mais je donnerais un boisseau de rubis pour que ma bague et mon nom n’eussent point attiré un brave chevalier dans un piège, et ne l’eussent point exposé peut-être à la honte et au châtiment.

— Oh ! c’est pour le salut de votre fidèle chevalier que vous tremblez, dit la reine. Vous avez une trop faible idée de notre pouvoir, belle cousine, quand vous dites que, dans un accès de gaîté, nous pourrions exposer la vie d’un homme. Ô lady Édith ! d’autres que vous ont de l’influence sur le cœur d’airain des guerriers… Le cœur d’un lion même est de chair et non de pierre ; et croyez-moi, j’ai assez de crédit sur Richard pour sauver ce chevalier auquel lady Édith s’intéresse si vivement, de la peine qu’il peut avoir encourue par sa désobéissance.