Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/150

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— Attache ton Sathanos à longues griffes, reprit la voix, ou je saurai le conjurer avec un trait de mon arbalète. »

En même temps le chevalier entendit le bruit qui se fait en bandant un arc.

« Ne touche pas à ton arbalète, et montre-toi au clair de la lune, reprit l’Écossais, ou, de par saint André ! je t’attacherai à la terre, qui que tu sois. »

En parlant ainsi il saisit sa longue lance par le milieu, et le regard fixé sur l’objet qui semblait se mouvoir, il la brandit comme s’il avait l’intention de la lancer, usage qu’on faisait quelquefois, quoique rarement, de cette arme, quand la circonstance le rendait nécessaire.

Il eut honte cependant de son dessein et posa sa lance à terre, lorsqu’il vit passer de l’obscurité au clair de la lune, comme un acteur qui entre en scène, une créature rabougrie et difforme, dans laquelle, à son costume bizarre et à sa difformité, il reconnut le nain qu’il avait vu dans la chapelle d’Engaddi. Se rappelant au même instant les autres visions si différentes de cette nuit extraordinaire, il fit un signe à son chien, qui le comprit, et retourna immédiatement auprès de la bannière au pied de laquelle il se coucha avec un grondement étouffé.

Cet abrégé grotesque des difformités humaines, n’ayant plus rien à craindre d’un ennemi si formidable, se mit à gravir la pente en haletant, travail que le peu de longueur de ses jambes rendait assez pénible ; enfin, étant arrivé sur le haut de l’éminence, il prit de sa main gauche son petit arc qui était une espèce de joujou semblable à ceux dont, à cette époque, on permettait aux jeunes enfants de se servir pour tirer aux petits oiseaux, et se donnant une attitude majestueuse, il tendit gracieusement la main droite au chevalier, comme pour la lui donner à baiser. Mais ses avances n’ayant pas été acceptées, il demanda d’une voix aigre et courroucée : « Soldat, pourquoi ne rends-tu pas à Nectabanus l’hommage dû à sa dignité ? Est-il possible que tu l’aies pu oublier en si peu de temps ?

— Grand Nectabanus ! » répondit le chevalier voulant apaiser le nain, « il serait difficile de t’oublier après t’avoir vu une fois. Pardonne-moi cependant si, comme soldat en faction, et sous les armes, je ne puis, même pour un personnage aussi puissant que toi, quitter mon poste ou abandonner mon arme ; qu’il te suffise que je respecte ta dignité, et que je m’incline devant toi aussi humblement que peut le faire une sentinelle.