Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/149

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beautés de la cour d’Angleterre. Il n’avait donc pas lieu de craindre une mort obscure.

Sir Kenneth eut tout le loisir de se repaître de ces pensées exaltées ; elles entretenaient l’enthousiasme chevaleresque qui, au milieu de ses écarts les plus extravagants et les plus bizarres, était pur, du moins, de tout mélange d’égoïsme. Cet enthousiasme toujours noble, généreux et dévoué, n’avait peut-être de blâmable que la folie de se proposer un but et une suite d’actions incompatibles avec la fragilité et les imperfections de la nature humaine. Autour du chevalier la nature reposait au sein de la paisible clarté de la lune, ou bien ensevelie dans l’ombre. Les longues files de tentes et de pavillons, éclairées ou obscures, étaient calmes et silencieuses comme les rues d’une ville déserte. Au pied de la bannière était le grand lévrier dont nous avons déjà parlé, le seul compagnon de garde de Kenneth, et sur la sagacité duquel il comptait pour être averti du plus léger mouvement hostile. Le noble animal semblait comprendre le but de leur faction, car il regardait de temps en temps les larges plis de la riche bannière ; et lorsque le cri des sentinelles se faisait entendre des lignes éloignées et des retranchements du camp, il répondait par un seul aboiement prolongé, comme pour affirmer que lui aussi faisait son devoir avec vigilance. De temps en temps aussi il inclinait sa noble tête et remuait la queue lorsque son maître passait et repassait devant lui en marchant devant son poste, ou quand le chevalier s’arrêtait silencieux et distrait, appuyé sur sa lance et les yeux fixés vers le ciel, le fidèle serviteur se hasardait quelquefois à troubler ses pensées et à interrompre ses rêveries en fourrant son large museau dans la main gantelée du chevalier pour solliciter une caresse passagère. Tout-à-coup le lévrier aboya avec furie, et sembla prêt à s’élancer à l’endroit où les ténèbres étaient le plus épaisses ; cependant il attendit que son maître lui fît connaître sa volonté.

« Qui va là ? » demanda sir Kenneth, convaincu que quelque chose s’approchait furtivement dans l’obscurité.

« Au nom de Merlin et de Mengis, » répondit une voix rauque et désagréable, « attachez votre démon à quatre pattes, ou je n’approche pas de vous,

— Et qui es-tu, pour vouloir approcher de mon poste ? » répliqua sir Kenneth en dirigeant les yeux avec beaucoup d’attention sur un objet qu’il voyait se mouvoir sans pouvoir en distinguer la forme. « Prends garde, il s’agit ici de vie ou de mort.