Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/145

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Richard, et de par Saint-Georges ! je ferai de toi ce que j’ai fait de ce chiffon brodé, qui n’est propre qu’aux plus vils usages.

— De grâce, un peu de patience, notre frère d’Angleterre, reprit Philippe, et je prouverai au duc d’Autriche qu’il a tort dans cette circonstance. Ne croyez pas, noble duc, continua-t-il, qu’en laissant occuper à la bannière d’Angleterre le point le plus élevé du camp, nous, souverains indépendants de la croisade, nous nous reconnaissions inférieurs à Richard. Ce serait une inconséquence que de le supposer, puisque l’oriflamme elle-même, la grande bannière de France, à laquelle le royal Richard lui-même rend hommage pour ses possessions du continent, a dans ce moment une place au dessous des lions d’Angleterre. Mais comme frères jurés de la croix, comme pèlerins militaires, qui, mettant de côté les pompes et l’orgueil de ce monde, nous ouvrons avec nos sabres une route jusqu’au Saint-Sépulcre, moi-même et les autres princes, nous avons cédé au roi Richard, par respect pour sa renommée et ses hauts faits d’armes, cette préséance que, partout ailleurs et pour aucun autre motif, nous ne lui eussions accordée. Je suis convaincu que, lorsque Votre Grâce aura réfléchi là-dessus, elle exprimera son regret d’avoir planté sa bannière en ce lieu, et que Sa Majesté royale d’Angleterre lui donnera alors satisfaction de l’injure qu’il lui a faite. »

Le spruch sprecher et le hoff-narr s’étaient retirés tous deux à une distance respectueuse quand les choses menaçaient d’en venir aux coups, mais ils se rapprochèrent lorsqu’ils virent que les paroles dont ils faisaient eux-mêmes métier allaient redevenir à l’ordre du jour.

L’homme aux sentences fut si ravi du discours politique de Philippe, qu’il agita sa baguette à la conclusion, et oublia en présence de qui il était, au point de s’écrier qu’il n’avait jamais rien dit lui-même de plus sage dans sa vie.

« Cela se peut, lui dit Jonas Schwanker, mais vous serez fouetté si vous parlez si haut. »

Le duc répondit d’un air sombre qu’il porterait cette querelle devant le conseil général de la croisade, mesure que Philippe approuva hautement comme faite pour prévenir un scandale nuisible aux intérêts de la chrétienté.

Richard, conservant la même attitude indifférente, écouta Philippe jusqu’à ce que son éloquence fût épuisée, et dit ensuite tout haut : « Je me sens assoupi… cette maudite fièvre me tient encore…