Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/144

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pas été de son choix, mais l’esprit du temps était contagieux, et cette expédition lui avait été commandée par l’Église et par le vœu unanime de sa noblesse. Dans toute autre situation et dans un siècle plus civilisé, son caractère aurait pu avoir une grande supériorité sur celui de l’aventureux Richard. Mais pendant la croisade, qui n’était elle-même qu’une entreprise extravagante, la saine raison était de toutes les qualités celle dont on faisait le moins de cas, et la valeur chevaleresque, qu’il fallait à ce siècle et à cette expédition, aurait été flétrie s’il s’y fût mêlé la plus légère ombre de prudence. Ainsi, le mérite de Philippe, comparé à celui de son orgueilleux rival, brillait comme la clarté pure mais faible d’une lampe, comparée à l’éclat d’une énorme torche flamboyante qui, quoique n’ayant pas la moitié autant d’utilité, fait dix fois plus d’impression sur l’œil. Philippe ressentait son infériorité dans l’opinion publique avec le chagrin qu’en devait naturellement concevoir un prince d’une âme fière et élevée, et l’on ne peut s’étonner qu’il saisît toutes les occasions de mettre son caractère en parallèle avec celui de son rival, quand le contraste lui était avantageux. La circonstance actuelle lui semblait une de celles où la prudence et le calme devaient obtenir un triomphe sur l’impétuosité, la violence et l’obstination.

« Que signifie cette querelle malséante entre les frères jurés de la croix ? demanda Philippe. Est-ce bien Sa Majesté royale d’Angleterre et le duc souverain Léopold ? Comment est-il possible que les chefs et les piliers de cette sainte expédition…

— Trêve de remontrances, Philippe, » s’écria Richard, intérieurement furieux de s’entendre mettre sur la même ligne que Léopold, et ne sachant comment en montrer son ressentiment. « Ce duc, ce chef, ce pilier de notre expédition, a été insolent, et je l’ai châtié, voilà tout… De par ma foi, voilà bien du vacarme pour quelques coups de pied donnés à un chien !

— Roi de France, dit le duc, j’en appelle à vous et à tous les autres princes souverains de l’affront sanglant que je viens de recevoir : le roi d’Angleterre a arraché ma bannière, il l’a déchirée et foulée aux pieds.

— Parce qu’il a eu l’audace de la planter à côté de la mienne dit Richard.

— Mon rang me donne un droit égal au tien, » reprit le duc enhardi par la présence de Philippe.

— Essaie de soutenir cette égalité personnellement, répliqua