Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/143

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rent peut-être leurs craintes personnelles sous le prétexte de l’amour de l’ordre, et s’écrièrent pour la plupart : « Paix ! paix ! la paix de la croix ! la paix de la sainte Église et de notre saint père le pape ! »

Les cris divers des assaillants, en contradiction les uns avec les autres, montraient leur irrésolution, tandis que Richard, le pied toujours posé sur la bannière autrichienne, jetait autour de lui un regard étincelant qui semblait chercher un ennemi ; mais les nobles courroucés s’éloignaient en frémissant comme pour fuir les griffes menaçantes du roi. De Vaux et le chevalier du Léopard étaient restés près de lui, et quoique leurs épées ne fussent pas sorties du fourreau, il était évident qu’ils étaient prêts à défendre jusqu’à la dernière extrémité la personne de Richard, et leur taille ainsi que leur force remarquable pouvaient faire penser que la défense serait désespérée.

Salisbury s’était également avancé avec sa suite qui brandissait en l’air des piques et des pertuisanes, et ses archers tendaient déjà leurs arcs.

En ce moment, le roi Philippe de France, suivi de deux ou trois de ses chevaliers, parut sur la plate-forme pour demander la cause de ce tumulte, et fit un geste de surprise en voyant le roi d’Angleterre, qu’il croyait au lit, debout et défiant dans cette attitude menaçante le duc d’Autriche, leur allié commun. Richard lui-même rougit d’être vu par Philippe, dont il respectait la sagesse autant qu’il aimait peu la personne, dans une position qui ne convenait ni à son caractère de monarque, ni à celui de croisé ; on remarqua qu’il retira le pied, comme par hasard, de la bannière déshonorée, et qu’il affecta un air de calme et d’indifférence, au lieu de la violente agitation qui, un moment auparavant, se peignait dans ses regards. Léopold, mortifié qu’on l’eût surpris à se soumettre passivement aux insultes du fougueux Richard, essaya aussi de recueillir un peu de fermeté et de sang-froid.

Les qualités royales qui avaient valu à Philippe le surnom d’Auguste, pouvaient le faire considérer comme l’Ulysse de la croisade dont Richard était incontestablement l’Achille. Le roi de France était judicieux et prudent, sage dans le conseil, calme et résolu dans l’action. Il voyait avec justesse, et poursuivait avec fermeté les mesures qui convenaient le mieux aux intérêts de son royaume. Majestueux et imposant dans ses manières, personnellement brave, il était cependant plus politique que guerrier : la croisade n’aurait