Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/136

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les égards dont il doit user pour ménager leurs relations de vassal et de suzerain, et qu’il serait impolitique à lui d’en venir ouvertement à une rupture dans ce moment.

— Tout le monde sait que Philippe est prudent, répliqua Conrad, et on attribuera sa patience à sa politique… Quant à la vôtre, seigneur, vous seul pouvez en expliquer les motifs : mais je ne doute pas que vous n’en ayez de puissants pour vous soumettre à la domination anglaise.

— Moi, m’y soumettre ! » reprit Léopold avec indignation ; « moi, archiduc d’Autriche, membre important du Saint-Empire-Romain ! moi, me soumettre au roi de la moitié d’une île, à ce petit-fils d’un bâtard normand ; non, de par le ciel ! Le camp et toute la chrétienté apprendront si je sais me faire justice, et si je veux céder un pouce de terrain à ce chien maudit. Debout, sujets et vassaux ; debout, et suivez-moi ! Nous allons, sans perdre un instant, planter l’aigle autrichienne là où elle dominera d’aussi haut que flotta jamais l’étendard d’un roi ou d’un césar. »

Là-dessus il se leva précipitamment ; et, au milieu des acclamations tumultueuses de ses convives et de ses partisans, il sortit du pavillon et saisit sa bannière qui était plantée devant la porte.

« Un moment, seigneur, » dit Conrad en affectant de vouloir intervenir. « On pourra reprocher à votre prudence d’exciter du tumulte dans le camp à cette heure ; et peut-être vaudrait-il mieux se soumettre un peu plus long-temps à l’usurpation de l’Angleterre que de…

— Pas une heure ! pas un moment ! » s’écria le duc ; et la bannière en main, suivi de ses partisans et de ses serviteurs, il marcha rapidement vers l’éminence où flottait le drapeau anglais ; arrivé à cet endroit, il mit la main sur le bâton comme pour l’arracher de terre.

« Mon maître, mon cher maître, » dit Jonas Schwanker en jetant ses bras autour du duc… « Prenez garde, les lions ont des dents.

— Et les aigles ont des serres, » répondit le duc, n’abandonnant pus la bannière royale, quoique hésitant pourtant à l’arracher.

Le diseur de sentences avait parfois des intervalles de bon sens. Il fit tinter son bâton, et Léopold, par habitude, tourna la tête vers son conseiller.

« L’aigle est le souverain des oiseaux de l’air, dit le spruch sprecher, comme le lion est le roi des animaux des forêts… Cha-