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— Demande-t-on pourquoi des ailes sans rivales
Portent l’aigle si loin au delà du regard ?

« L’aigle, dit l’interprète des pensées obscures, l’aigle est l’emblème de notre noble lord archiduc… de Sa Grâce royale, veux-je dire ; et l’aigle est la créature qui approche le plus près du soleil.

— Le lion a cependant pris son essor au dessus de l’aigle, » dit Conrad d’un air de négligence.

L’archiduc rougit, et fixa ses yeux sur le spruch sprecher ; celui-ci, après une minute de réflexion, répondit : « Le seigneur marquis m’excusera, un lion ne peut prendre son essor au dessus d’un aigle, attendu qu’un lion n’a pas d’ailes.

— Excepté le lion de Saint-Marc, ajouta le bouffon.

— C’est la bannière vénitienne, dit le duc ; mais assurément cette race amphibie, demi-noble et demi-marchande, ne peut oser comparer son rang au nôtre.

— Ce n’était pas du lion de Venise que je voulais parler, dit le marquis de Montferrat, mais des trois lions passants d’Angleterre… Autrefois, dit-on, c’étaient des léopards, mais à présent ils sont devenus tout-à-fait lions, et doivent prendre la préséance sur toute espèce de quadrupèdes, d’oiseaux et de poissons, ou malheur à qui voudrait s’y opposer.

— Parlez-vous sérieusement, seigneur ? » demanda l’Autrichien déjà fort échauffé par le vin. « Croyez-vous que Richard d’Angleterre veuille s’arroger la prééminence sur les souverains libres qui se sont volontairement alliés à lui dans cette croisade ?

— Je ne parle que d’après les circonstances qui me frappent, répondit Conrad… On voit là-bas sa bannière flotter seule au milieu de notre camp, comme s’il était roi et généralissime de toute l’armée chrétienne.

— Supportez-vous donc cet outrage avec tant de patience, et pouvez-vous en parler avec un tel sang-froid ?

— En vérité, seigneur, ce n’est pas au pauvre marquis de Montferrat qu’il convient de ressentir une injure à laquelle se soumettent patiemment des princes aussi puissants que Philippe de France et Léopold d’Autriche. Il ne peut y avoir aucune honte pour moi d’endurer un outrage que vous voulez bien supporter vous-même. »

Léopold frappa violemment la table de son poing fermé. « J’en avais averti Philippe, s’écria-t-il… Je lui ai dit plusieurs fois qu’il était de notre devoir de protéger les princes inférieurs contre l’usurpation de cet insulaire. Mais il répond toujours en m’objectant