Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/133

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ces généreux qui les avaient données au spruch sprecher. Il portait un petit bâton auquel des pièces d’argent étaient attachées au moyen d’anneaux, et il agitait ce bâton toutes les fois qu’il allait dire quelque chose qu’il jugeait digne d’être entendu. Cet individu exerçait dans la maison du duc d’Autriche des fonctions qui participaient de celles de ménestrel et de conseiller ; il était alternativement flatteur, poète et orateur, et ceux qui voulaient être bien avec le duc devaient s’efforcer de gagner les bonnes grâces du spruch sprecher.

De peur que la sagesse de cet officier ne finît par devenir fatigante, le duc avait derrière son épaule gauche son hoff-narr ou bouffon de cour, appelé Jonas Schwanker, qui faisait presque autant de bruit avec les sonnettes de son bonnet de fou et de sa marotte, que l’orateur ou l’homme aux sentences avec sa baguette aux pièces d’argent.

Ces deux personnages débitaient alternativement des sottises graves ou comiques, tandis que leur maître, riant ou approuvant lui-même, examinait avec soin la physionomie de son noble convive pour juger de l’impression que produisaient sur un cavalier aussi accompli l’éloquence et la plaisanterie autrichiennes. Il est difficile de décider lequel du sage ou du fou contribuait le plus à l’amusement de la compagnie, ou était le plus goûté de son noble maître ; mais leurs saillies à tous deux étaient merveilleusement bien accueillies. Quelquefois ils se disputaient la parole, et alors ils agitaient leurs grelots, à l’envi l’un de l’autre, d’une manière redoutable ; mais, en général, ils paraissaient être si bien d’accord et si accoutumés à se soutenir mutuellement, que le spruch sprecher daignait souvent accompagner les plaisanteries du bouffon d’une explication qui les mettait à la portée de l’auditoire, en sorte que la sagesse devenait une espèce de commentaire de la folie. Quelquefois aussi, par reconnaissance, le hoff-narr, par une agréable bouffonnerie, terminait d’une manière piquante la longue harangue de l’orateur.

Quels que fussent ses sentiments intérieurs, Conrad eut particulièrement soin que sa physionomie n’exprimât que la satisfaction la plus complète, et il parut prendre autant de plaisir que le duc lui-même aux graves sottises du spruch sprecher et aux plaisanteries inintelligibles du bouffon. Dans le fait, il guettait attentivement le moment où l’un ou l’autre viendrait à tomber sur quelque sujet favorable aux desseins qui ne cessaient d’occuper toutes ses pensées.