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chevalerie n’y étaient pas portés au même degré de raffinement que chez les Français et les Anglais, et ils n’observaient pas davantage les convenances sociales qui, dans l’opinion de ces deux nations, indiquaient le perfectionnement de la civilisation. Assis à la table du duc d’Autriche, Conrad fut à la fois étourdi et diverti par les bruits teutoniques dont ses oreilles furent assaillies malgré la cérémonie d’un banquet royal. Le costume des seigneurs autrichiens ne lui parut pas moins bizarre. Plusieurs d’entre eux avaient conservé leurs longues barbes, et presque tous portaient de courtes jaquettes de diverses couleurs, taillées, brodées et garnies de franges, d’une manière qui n’avait aucun rapport avec les modes de l’Europe occidentale.

Un grand nombre de serviteurs de tout âge étaient dans le pavillon. Ils se mêlaient de temps à autre à la conversation, recevaient de leurs maîtres les restes de la table et les dévoraient derrière les convives. Il y avait une foule extraordinaire de bouffons, de nains et de ménestrels, tous plus bruyants et plus importuns qu’on ne l’aurait souffert dans une société mieux réglée. On leur avait donné du vin en abondance, et leur gaîté, stimulée par de fréquentes libations, était devenue de la licence.

Cependant, et au milieu des clameurs tumultueuses qui auraient mieux convenu à une taverne allemande un jour de foire qu’à la tente d’un prince souverain, l’archiduc était servi avec une minutie de forme et d’étiquette qui montrait à quel point il était jaloux de maintenir rigoureusement le rang illustre auquel on l’avait élevé. Il n’était servi qu’à genoux et par des pages d’un sang noble. Il mangeait dans une assiette d’argent, et buvait son tokay ou ses vins du Rhin dans une coupe d’or. Son manteau ducal était richement garni d’hermine, sa couronne égalait en valeur un diadème royal, et ses pieds, chaussés de souliers de velours, dont la longueur, en comprenant la pointe, pouvait bien être de deux pieds, reposaient sur un tabouret d’argent massif. Mais une chose qui peignait encore mieux le caractère de l’homme, c’est que, bien qu’il désirât montrer des égards au marquis de Montferrat qu’il avait poliment fait mettre à sa droite, il prêtait beaucoup plus d’attention à son spruch sprecher, c’est-à-dire à son diseur de sentences, qui se tenait derrière l’épaule droite du duc.

Ce personnage était richement vêtu d’un manteau et d’un justaucorps de velours noir ; différentes pièces de monnaies d’or et d’argent étaient cousues sur le justaucorps, en mémoire des prin-