Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/131

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soupçon, trop bien fondé, que ses alliés faisaient peu de cas de lui.

Lorsqu’il vint se joindre à la croisade avec une suite de la plus grande magnificence, il avait paru désirer beaucoup l’amitié du roi Richard ; et il avait fait, pour l’obtenir, des avances que le roi d’Angleterre, par politique, aurait dû accueillir, et auxquelles il eût été dans ses intérêts de répondre. Mais quoique l’archiduc ne fût pas dépourvu de bravoure, il était si loin d’être animé de cette ardeur qui portait Cœur-de-Lion à rechercher le danger, comme un amant courtise une maîtresse, que le roi regarda bientôt le duc allemand avec une espèce de dédain. D’ailleurs Richard, appartenant à une nation chez qui la tempérance était en honneur, considérait comme un penchant honteux le goût de l’Autrichien pour les plaisirs de la table, et surtout l’usage immodéré qu’il faisait du vin. Ces motifs, auxquels se réunirent des raisons personnelles, firent que le roi d’Angleterre éprouva bientôt pour le prince allemand un mépris qu’il ne prit pas la peine de cacher : ce sentiment fut remarqué par le soupçonneux Léopold, qui le paya d’une haine profonde. La discorde qui régnait entre eux était entretenue par les secrets artifices de Philippe de France, un des monarques les plus politiques de son temps. Redoutant le caractère impétueux et despotique de Richard, et le regardant comme son rival naturel, Philippe, offensé, d’autre part, du ton d’autorité que l’Anglais, son vassal, avait pris avec lui, essaya de fortifier son propre parti et d’affaiblir celui de Richard en excitant les princes croisés d’un rang inférieur à se réunir pour résister à l’autorité usurpatrice du roi d’Angleterre. Tel était l’état des choses quand Conrad de Montferrat résolut de tirer parti de la jalousie du duc d’Autriche pour dissoudre ou ébranler du moins la ligue des croisés.

Le moment qu’il choisit pour sa visite fut l’heure de midi, et le prétexte fut d’offrir à l’archiduc un précieux vin de Chypre qu’il venait de recevoir, et qu’il voulait comparer aux vins de Hongrie ou du Rhin. En retour de cette courtoisie, il reçut naturellement l’invitation de partager le repas de l’archiduc, et celui-ci n’épargna aucun effort pour rendre le festin digne de la magnificence d’un monarque. Néanmoins le goût délicat de l’Italien vit plutôt une profusion grossière qu’une élégance recherchée dans la quantité de plats énormes sous le poids desquels la table pliait.

Les Allemands, avec le caractère franc et martial de leurs ancêtres qui soumirent l’empire romain, avaient conservé une teinte assez forte de leurs mœurs barbares. Les préceptes et les usages de la