Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/127

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aucune communication avec Richard auquel sa présence fut toujours désagréable, et qui est d’ailleurs retenu au lit par sa maladie.

— Oh ! voilà une politique trop fine, s’écria le grand-maître. Crois-moi, ces filets italiens ne prendront jamais ce Samson insulaire. Il faudrait pour cela employer d’autres liens, des liens plus solides. Ne voyez-vous pas que ce messager choisi avec tant de soin nous a ramené un médecin qui va rendre à cet Anglais au cœur de lion et au cou de taureau la faculté de poursuivre son entreprise de croisade ? et aussitôt qu’il sera en état de s’élancer de nouveau au combat, lequel des princes osera rester en arrière ? Ils le suivront, rien que par honte, quoiqu’ils aimassent autant marcher sous la bannière de Satan.

— Soyez tranquille ; avant que ce médecin (s’il n’est pas aidé dans son opération par une puissance surnaturelle) ait pu accomplir la guérison de Richard, il sera possible d’amener quelque rupture entre le monarque français, ou tout au moins entre l’Autrichien et leur allié d’Angleterre ; cette querelle sera irréconciliable. Ainsi Richard en sortant de son lit pourra peut-être commander encore ses propres troupes, mais il ne pourra de nouveau, par sa seule énergie, se mettre à la tête de toute la croisade.

— Tu es un adroit archer ; mais, Conrad de Montferrat, ton arc n’est pas assez tendu pour que ta flèche atteigne un tel but. » Il s’arrêta tout court, jeta un regard soupçonneux autour de lui pour s’assurer que personne ne l’écoutait, et, prenant la main de Conrad, il la lui pressa fortement en le regardant fixement en face ; puis il ajouta lentement :

« Quand Richard sortira de son lit, dis-tu ? Conrad, il faut qu’il n’en sorte jamais ! »

Le marquis de Montferrat tressaillit : « Comment ! parles-tu de Richard d’Angleterre, de Cœur-de-Lion, du champion de la chrétienté ? » Tout en disant ces mots, son visage devint pâle et ses genoux tremblèrent. Le templier s’en aperçut, et sur son visage de fer une légère contraction indiqua un sourire de mépris.

« Sais-tu à qui tu ressembles en ce moment ? sir Conrad. Ce n’est pas au politique et vaillant marquis de Montferrat, à celui qui voudrait diriger le conseil des princes et décider du sort des empires, mais à un novice qui, tombant sur une conjuration dans le livre de grimoire de son maître, a évoqué le diable au moment où il y pensait le moins, et reste consterné de l’apparition qui s’offre à lui.