Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/126

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restaient ici et réussissaient dans cette expédition, nous dévoueraient avec joie à l’humiliation et à la dépendance ?

— Vous parlez bien, seigneur marquis, et vos paroles trouvent un écho dans mon cœur. Néanmoins il nous faut de la prudence ; Philippe de France est aussi sage que vaillant.

— C’est vrai ; et il se laissera d’autant plus facilement détourner d’une expédition à laquelle, dans un sentiment d’enthousiasme, ou peut-être poussé par ses nobles, il s’est voué si témérairement. Il est jaloux du roi Richard, son ennemi naturel, et il lui tarde de partir pour suivre des plans d’ambition dont le théâtre est plus près de Paris que de Jérusalem. Le premier prétexte honnête lui suffira pour s’éloigner d’un pays où il sent parfaitement qu’il épuise les forces de son royaume.

— Et le duc d’Autriche ?

— Oh ! quant au duc, sa présomption et sa sottise le conduiront aux mêmes résultats où la politique et la sagesse auront conduit Philippe. Il se croit, Dieu lui pardonne, traité avec ingratitude, parce que toutes les bouches, même celles de ses ménestrels, sont remplies des louanges du roi Richard ; car il le craint et il le déteste : il se réjouirait du malheur de ce monarque, comme ces chiens de race bâtarde qui, lorsque le chef de la troupe tombe sous la griffe du loup, sont plus portés à l’attaquer par derrière qu’à venir à son secours. Mais pourquoi te parlé-je ainsi, si ce n’est pour te montrer avec quelle sincérité je désire que cette ligue soit rompue et le pays délivré de ces grands monarques et de leurs armées : et tu sais bien, tu as vu par tes propres yeux combien tous les princes qui ont ici quelque influence et quelque pouvoir sont impatients d’entrer en négociation avec le soudan.

— Je l’avoue ; il faudrait être aveugle pour n’avoir pas remarqué cela dans les dernières délibérations. Mais lève ton masque encore un peu plus haut, et dis-moi par quels motifs tu as proposé au concile cet Anglais du nord, cet Écossais, ou quel que soit le nom que vous donniez à ce chevalier du Léopard, comme porteur des conditions du traité.

— J’avais en cela un but politique, reprit l’Italien ; sa qualité d’enfant de la Grande-Bretagne le rendait propre à l’entrevue que désirait Saladin ; ce prince voyait en lui un guerrier de l’armée du roi Richard. D’une autre part, son caractère d’Écossais, et certaine rancune que j’ai cru apercevoir entre ce chevalier et le roi d’Angleterre rendaient peu probable que notre envoyé eût à son retour