Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 22, 1838.djvu/116

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elle ressemble dans son désordre à une mer agitée ; apportez-moi ce miroir d’acier… passez le peigne dans mes cheveux et dans ma barbe… elle ressemble plus à la crinière d’un lion qu’à la chevelure d’un chrétien… apportez de l’eau.

— Milord, » dit le chambellan tout tremblant, « les médecins disent que l’eau froide peut être dangereuse.

— Au diable les médecins, reprit le monarque, s’ils ne peuvent me guérir : croyez-vous que je leur permettrai de me tourmenter ?… Là ! à présent, » dit-il, après avoir fait ses ablutions, « admettez les respectables députés ; ils ne diront pas, j’espère, que la maladie a produit sur Richard l’effet de lui faire négliger sa personne. »

L’illustre grand-maître des templiers était un homme de haute taille, mince et usé par la guerre ; il avait un coup d’œil lent, mais pénétrant, et un front sur lequel mille intrigues ténébreuses avaient imprimé leur sombre cachet. Il était le chef de ce corps singulier pour qui l’ordre était tout et chaque individualité rien ; cherchant l’agrandissement de son pouvoir aux dépens même de cette religion que le but de son association primitive avait été jadis de défendre. Les chevaliers du Temple étaient accusés d’hérésie et de magie, malgré leur caractère de prêtres chrétiens, et soupçonnés d’une ligue secrète avec le soudan, quoique engagés par serment à protéger et à délivrer le Saint-Sépulcre. L’institution tout entière, aussi bien que le caractère personnel du supérieur ou grand-maître, était une énigme que l’on tremblait généralement de pénétrer. Ce grand-maître était revêtu de la longue robe blanche qu’il portait dans les grandes solennités, et tenait à la main l’abacus, ou baguette mystique, emblème de sa dignité, dont la forme bizarre avait donné lieu à des conjectures et à des commentaires étranges, faisant soupçonner que ces chevaliers chrétiens s’étaient ralliés sous les symboles les plus impurs du paganisme.

Conrad de Montferrat avait un extérieur beaucoup plus agréable que le sombre et mystérieux soldat-prêtre qui l’accompagnait. C’était un bel homme, de moyen âge, peut-être un peu au delà, intrépide dans les combats, sage au conseil, brillant et galant au milieu d’une fête ; mais, d’un autre côté, on lui imputait une grande versatilité, une ambition étroite et égoïste qui lui faisait chercher à étendre sa principauté, sans égard pour les intérêts du royaume latin de la Palestine : on l’accusait de ne songer qu’à ses avantages personnels, en négociant secrètement avec Saladin au détriment de la ligue chrétienne.