Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/82

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sent que vous savez tout… je vous le demande, voyagerons-nous ensemble ou séparément ? — Comme il vous plaira, mon digne hôte, » répondit Philipson d’un ton indifférent ; « quant à moi, je ne puis que vous dire qu’un attachement du genre de celui dont vous parlez serait aussi contraire à mes désirs qu’à ceux de votre frère, même qu’aux vôtres, si je suppose bien. Arthur Philipson a des devoirs à remplir, qui ne lui permettent pas de jouer le rôle d’amoureux près d’aucune fille de Suisse, voire même d’Allemagne, fût-elle de haut rang ou de basse extraction. Mon fils est obéissant surtout… il n’a jamais sérieusement enfreint mes ordres, et j’aurai l’œil sur ses mouvements. — Assez, mon ami. Nous voyagerons donc ensemble. Je persiste volontiers dans mon premier dessein, car je trouve à la fois plaisir et instruction dans vos discours. »

Changeant alors de conversation, il se mit à demander à sa nouvelle connaissance s’il pensait que la ligue formée par le roi d’Angleterre et le duc de Bourgogne dût être durable. « Nous entendons beaucoup parler, continua l’Helvétien, de l’immense armée avec laquelle le roi Édouard se propose de reconquérir ses possessions anglaises en France. — Je suis persuadé que rien ne peut être aussi populaire dans mon pays qu’une invasion en France, et la tentative de recouvrer la Normandie, le Maine et la Gascogne, anciens apanages de la couronne d’Angleterre. Mais je doute fort que le voluptueux usurpateur qui porte maintenant le titre de roi obtienne de la Providence le succès d’une pareille entreprise : Cet Édouard IV est brave sans doute ; il a même gagné toutes les batailles dans lesquelles il a tiré l’épée, et le nombre en est grand. Mais depuis qu’il est arrivé par un chemin sanglant au but de son ambition, il s’est montré plutôt débauché sensuel que chevalier vaillant ; et je suis intimement convaincu que rien, pas même la chance de reconquérir tous les beaux domaines qui furent perdus durant les guerres civiles excitées par son ambitieuse famille, ne le tentera de quitter les doux lits de Londres, aux draps de soie et aux oreillers de plumes, et la musique des luths languissants chargée de l’endormir, pour la musique discordante de France et l’éveil d’une trompette d’alarme. — C’est tant mieux pour nous qu’il en soit ainsi, car si l’Angleterre et la Bourgogne devaient démembrer la France, comme la chose arriva presque du temps de nos pères, Charles aurait alors le loisir d’épuiser sa vengeance long-temps comprimée contre notre confédération. »