Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/75

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— Et si Biedermann, dit le marchand, signifie, comme j’explique ce mot, un homme considéré, franc et généreux, je ne connais personne à qui l’épithète puisse être plus justement donnée. Permettez-moi néanmoins d’observer que je loue une conduite que, dans votre position, je n’aurais pu prendre sur moi de tenir. Continuez, je vous prie, l’histoire de votre maison, si ce récit ne vous est pas pénible. — Il me reste peu de chose à dire, répliqua le landamman. Mon père mourut peu après le partage de ses domaines, fait de la manière que je vous ai dite. Mon frère avait d’autres propriétés dans la Souabe et dans la Westphalie, et visitait rarement son château paternel, qui était presque exclusivement abandonné à un sénéchal, homme si odieux aux vassaux de la famille, que sans la protection qu’il trouvait dans ma résidence voisine, et ma parenté avec son seigneur, il eût été bientôt expulsé du nid du vautour, et traité avec aussi peu de cérémonie que s’il avait été le vautour lui-même. À dire la vérité, les rares visites de mon frère à Geierstein n’apportaient pas à ses vassaux plus de consolation qu’elles ne procuraient à lui-même de popularité. Il n’entendait qu’avec les oreilles et ne voyait que par les yeux de son régisseur cruel et intéressé, Ital Schreckenwald, et n’écoutait même pas mes avis et mes reproches. À la vérité, quoiqu’il se soit toujours conduit envers moi avec beaucoup de politesse, je crois qu’il me regardait comme un lourd et grossier paysan, et pensait que j’avais déshonoré mon illustre origine par la bassesse de mes goûts. Il montrait en toute occasion son dédain pour les préjugés de ses compatriotes, surtout en portant une plume de paon en public, et en voulant que les personnes de sa suite se parassent du même emblème, quoique ce fût celui de la maison d’Autriche, emblème si impopulaire dans ce pays que des hommes ont été mis à mort sans autre raison que de l’avoir porté à leur chapeau. Cependant j’épousai ma chère Bertha, aujourd’hui sainte du ciel, qui me donna six fils robustes, dont cinq, comme vous l’avez vu, entouraient tout à l’heure ma table. Albert se maria aussi. Sa femme était une dame de Westphalie, d’un rang illustre ; mais cette union fut moins féconde que la mienne : il n’eut qu’une fille, Anne de Geierstein. Alors éclata la guerre entre la cité de Zurich et nos cantons de Forêts ; cette guerre où fut versé tant de sang, où nos frères de Zurich furent assez mal conseillés pour embrasser l’alliance de l’Autriche. L’empereur ne négligea rien pour profiter le mieux possible de l’occasion favorable que lui offrait la désunion des Suisses, et il engagea tous ceux sur